LA MONDIALISATION DU SPORT ET SES ENJEUX
Dans son ouvrage intitulé Le sport barbare, critique d’un fléau barbare (Editions Michalon, 2008), Marc Perelman, professeur d’esthétique à l’Université Paris X-Nanterre se livre à une critique en règle du sport, devenu une véritable « religion » depuis près d’un demi-siècle, au point d’y déceler un danger de fascisation des esprits, d’où ce titre en forme de provocation. Le terme de « religion » revient en effet depuis fort longtemps dans les publications des observateurs du phénomène sportif, depuis que le philosophe français Gustave Thibon avait regretté que le sport soit devenu « une religion qui a trop de croyants et peu de pratiquants »….
Mais le propos de Marc Perelman est tout autre. Au chapitre consacré à la mondialisation par le sport (pp.23-34), l’auteur, s’inspirant des thèses exprimées par l’économiste américain Ernest Mandel dans son Traité d’économie marxiste (1962-1969 http://bataillesocialiste.wordpress.com/2008/12/03/a-propos-du-traite-deconomie-marxiste-de-mandel-mattick-1969/), analyse la mondialisation sous l’angle du sport et ses conclusions éclairent d’un jour nouveau l’emprise qu’exerce le sport au plus profond de nos sociétés.
L'athlète-marchandise
M.Perelman s’attache tout d’abord à définir la marchandisation du sport par celle de l’athlète-marchandise, dont les exploits donnent lieu à des transactions d’un montant ahurissant, les records affichés par le Mercato (marché des footballeurs professionnels) depuis plusieurs années en disant long sur l’inflation des prix des footballeurs internationaux, les tarifs semblant ignorer superbement la crise financière actuelle.
La marchandisation du sport
La marchandisation de l'athlète et celle du sport n'ont été rendues possibles que par la marchandisation de tout ce que l'homme peut produire : biens matériels, culturels, intellectuels et de l'homme lui-même. Le marché s'est emparé de l'extraordinaire engouement suscité par le sport pour imprimer sur ce dernier ses lois, inspirées par le néo-libéralisme, remis au goût du jour depuis l'ère Thatcher-Reagan des années 1980-1990.
Elle s'est appuyée sur de puissants relais : une économie spécifique, la toute puissance des médias, telle que celle incarnée par Berlusconi en Italie, la logistique des états, quels que soient leur orientation politique. La chine offre un exemple remarquable de la fascination exercée par le sport sur les masses et la possibilité offert d'en faire une vitrine de propagande politique et un moyen d'action économique puissant, comme l'ont démontré les Jeux Olympiques de Pékin de 2008. Le sport, jadis promu au rang de "défense de la patrie" et chargé d'exalter la nation chinoise (loi de 1995 sur le sport) est désormais un enjeu stratégique qui vient appuyer la volonté chinoise de se placer au premier rang du concert des nations en devenant non-seulement la première économie mondiale mais aussi la première puissance sportive. Le sport y est devenu un enjeu aussi important que l'économie, comme en témoigne la prolifération d'infrastructures sportives et une politique de recrutement et d'entraînement de masse, à l'échelle de ce vaste pays.
La marchandisation des esprits
Pour Perelman, le sport n'est pas qu'un avatar de la mondialisation, il en est le principal vecteur en s'immiscant au plus profon de l'espace social, investissant le discours politique, économique et imprimant ses "valeurs" aux mentalités : le culte de la performance, qui va de pair avec celui de la performance économique, le dépassement de soi, exaltation de la concurrence économique et l'idéologie de la vitoire et de la force ont fini par gagner tous les esprits, en commençant par la sphère économique qui a vu, dans l'image de l'athlète tout-puissant et le mythe du self-made-sportsman, un moyen de renouveler la dilectique libérale en la transposant dans le milieu de l'entreprise. Les cadres, les "décideurs" se doivent d'exprimer le dynamisme et la bravoure, propres aux idéaux jeunistes du sport. Souvenez-vous de la mode des stages de saut à l'élastique imposés aux cadres des entreprises en mal de "motivation" des années 1990-2000, certains d'entre-eux ne s'en étant d'ailleurs jamais remis...
L'effondrement du bloc communiste, à l'orée du troisième millénaire, consacrant l'hyperpuissance américaine et le monopole du modéle économique libéral, a permis au sport de devenir l'ambassadeur le plus efficace de la marchandisation du monde. Le cynisme avec lequel le sport professionnel affiche les profits qu'il tire des droits de retransmission d'évènements sportifs de premier plan, comme la Coupe du Monde de Football ou les Jeux Olympiques d'été, accompagne les dérives d'un dopage hautement technologique et de plus en plus performant et des pratiques de gestion de plus en plus mafieuses.
Les scandales de corruption qui ont émaillé le choix des villes olympiques, il y a quelques années, éclaboussant encore une fois le Comité Olympique International et ceux qui, désormais traditionnels, jettent la suspicion sur les exploits des vainqueurs du Tour de France, ne semblent pourtant pas ébranler le formidable édifice érigé par le dieu Sport dans toutes les sphères de nos sociétés : économie, vie politique, culture, éducation, etc.
Barack Obama se sert du Basket et du Football Américain pour pratiquer une nouvelle forme de diplomatie - la Dunk Diplomacy - et aussi pour amadouer ses adversaires politiques intérieurs. Finis les déjeuners officiels ; on invite désormais ses interlocuteurs à venir disputer un petit match de Basket ou à regarder une rencontre de Football Américain à la Maison Blanche. Nicolas Sarkozy, a, un temps, utilisé le jogging à des fins de médiatisation "positive" de son image mais un malaise vagal a eu l'effet contraire sur une opinion publique française plutôt encline à la dérision en la matière.
Le sport est également devenu un remède miracle au mal des banlieues. Sa capacité à socialiser, réelle dans un cadre socio-culturel équilibré, n'a cependant pas eu raison de la fracture sociale, malgré des figures emblématiques telles que Z.Zidane, abondamment exploitée par les médias en ce sens. Seules les initiatives locales, conjuguant des institutions scolaires, des partenaires économiques, des associations et les collectivités locales, peuvent se targuer d'obtenir des résultats probants sur le terrain, à condition que la réinsertion sociale par le sport rime avec emploi et que l'idéologie de la victoire à tout prix du football professionnel ne gangrène pas les esprits de jeunes à la dérive, trop facilement séduits par un modèle illusoire de réussite facile et fulgurant. Car le modèle de réussite par le sport fait fi du pérenne et s'inscrit ainsi en porte-à-faux avec les impératifs de développement durable aujourd'hui à l'ordre du jour.
Le plus célèbre des coups de boules de l'histoire du football...