le tandem Cherkaoui-Jalet donne une nouvelle version du Boléro à l'Opéra de Paris

LE BOLERO DE CHERKAOUI-JALET

À L'OPERA DE PARIS (CREATION)

La saison 2012-2013 de l'Opéra de Paris restera celle qui a vu la création d'une nouvelle version ballet du Boléro de Maurice Ravel, celle du tandem chorégraphique belge formé par Sidi Larbi CHERKAOUI et Damien JALET, associés pour l'occasion à Marina ABRAMOVIC, plasticienne et scénographe d'origine serbe.


Sollicités par le direction de l'Opéra de Paris, dans le cadre d'une production revisitant les désormais grands classiques de la modernité que sont les chorégraphies de Béjart (L'Oiseau de Feu), de Nijinski (L'Après-Midi d'un Faune) ou Robbins (Afternoon of a Faun), les deux compères ont su habilement se départir de la référence envahissante de la chorégraphie que Maurice Béjart avait créée en 1976 pour la danseuse étoile soviétique Maya Plisestkaya et qu'elle créa sur la scène centrale de la Fête de l'Humanité, cette année là.

L'héritage était lourd et le pari risqué. Pour échapper au piège de la référence-déférence ou au contraire de la rupture irrévérentieuse, Cherkaoui et Jalet ont montré une approche nouvelle de la musique envoûtante de Ravel. Au lieu de se caler sur le principe accumulatif qui préside à l'orchestration, associé au caractère lancinant et répétitif de la musique ils ont donné à voir une lecture nouvelle de la musique qui en enrichit la signification.

Béjart avait orienté sa chorégraphie dans le sens de l'orchestration en regroupant progressivement les danseurs autour du tréteau où évolue le soliste, au fur et à mesure que la partition agrège des instruments nouveaux à ceux jouant déjà les deux désormais plus célèbres thèmes de la musique d'orchestre (le Boléro est en effet joué dans le monde en moyenne une fois par quart d'heure !), les conduisant à se regrouper autour de lui, sur le tréteau, dans un bouquet humain final et paroxystique, tout à fait en phase avec l'oeuvre de Ravel. Débarrassé de toute référence hispanisante, le Boléro de Béjart avait innové et insufflé un souffle de radicalité à la danse. Après Maya Plisetskaia, ce fut Jorge Donn qui reprit le rôle solo et fit connaître la chorégraphie de Béjart dans le monde entier. Le ballet constitue aussi la scène finale du film choral Les uns et les autres de Claude Lelouch (1980).

Nantis de leur formation et expérience pluridisciplinaires, dans des domaines aussi variés que l'ethnomusicologie, le théâtre (D.Jalet) ou le hip-hop, le modern jazz et les arts plastiques (S.L.Cherkaoui), les deux chorégraphes de la compagnie Eastman ont orienté leur travail de création sur l'idée du tournoiement sans fin et de la métamorphose de danseurs, au départ lourdement vêtus d'amples manteaux puis se débarrassant imperceptiblement de leurs vêtements pour arborer de simples justaucorps (voir la vidéo ci-dessous).

Cette chorégraphie fait des allusions aux derviches tourneurs, aux danses macabres médiévales tout en proposant une scénographie aux effets visuels très forts : des formes lumineuses circulaires sur lesquelles évoluent les danseurs, se métamorphosent et se dédoublent au besoin, de larges miroirs inclinés donnent une réplique inversée et basculante du ballet et contribue à en amplifier la perception spatiale (alors qu'il y a assez peu de danseurs sur scène) et des fumigènes discrètement répandus achèvent d'unifier les corps, la musique, la lumière et l'espace même de la scène en un maelström étourdissant.

La chorégraphie ne ménage pas la technicité des interprètes : corps constamment en mouvement, contorsions multiples, positionnements et regroupements constamment renouvelés font de chaque danseur un soliste (il n'y en d'ailleurs quasiment pas) et surtout un virtuose de la métamorphose formelle et du mouvement.

La vidéo de présentation officielle de l'Opéra en donne un aperçu intéressant bien qu'en deçà de la sensation hypnotique que procure ce ballet lorsqu'on a la chance de le voir en réalité. 

Sans nul doute, cette nouvelle chorégraphie du Boléro va rentrer dans les annales de la danse du XXIème siècle.

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