David CHIPPERFIELD
Architecte de l’équilibre
À deux jours de l’ouverture de la XIIIème Biennale d’Architecture de Venise, grand rendez-vous mondial de la création architecturale, découvrons un rapide portrait de son Directeur Général, le britannique David Chipperfield, moins connu en France que certains de ses compatriotes tels que Norman Foster, concepteur de la Médiathèque de Nîmes et du viaduc de Millau ou encore Richard Rogers, co-auteur du Centre Pompidou.
The Turner Contemporary Gallery in Margate (GB), 2012
Londonien de naissance (1953), David Chipperfield effectue ses études dans cette ville au Kingston Polytechnic College et à l’Architectural Association. Diplômé en 1977, l’année de l’inauguration de l’emblématique Centre Pompidou de Paris, il entame sa carrière en collaborant avec son compatriote Richard Rogers, auteur avec l’italien Renzo Piano de l’emblématique usine culturelle parisienne ainsi qu’avec le non-moins célèbre Norman Foster.
Une anti-star de l’architecture
Il finit par fonder son agence en 1985 (David Chipperfield Architects) et s’impose rapidement sur un plan international, en plein essor du High Tech (initié par le Centre Pompidou, le siège de la Lloyds de Londres et celui de HSBC à Hong-Kong), grâce à sa rigueur et son humilité, à contre-courant de l’émergence d’un phénomène de starisation de certains de ses collègues britanniques ou américains.
À contre-courant de l’idée de rupture
À la fois résolument contemporain, par sa technique et son dessin, ce passionné d’histoire travaille surtout sur les rapports entre tradition et modernité, tentant de relier la création architecturale à des racines, souvent vernaculaires, en des temps où le mot d’ordre était plutôt à la rupture. Comme certains artistes plasticiens, tels que le français Daniel Buren, David Chipperfield est le témoin lucide des métamorphoses urbaines, parfois radicales, voire violentes, qui bouleversent nombre de villes européennes, parfois dans leur cœur historique même. On se souvient des protestations émises dans les années 1980 par le Prince Charles d’Angleterre devant les excès dont Londres était victime de la part d’architectes plus soucieux d’imposer un geste architectural que de dialoguer avec le bâti existant.
Paris n’était pas en reste, se remettant à peine du catastrophique projet de reconstruction de Halles.
Le Musée de la Rivière et de l’Aviron de Henley on Thames (1997)
Construit entre 1989 et 1997, le Musée de la Rivière et de l’Aviron, reprend à son compte la tradition des hangars à bateaux et des granges de la région pour en donner une traduction moderne.
Composés de bâtiments horizontaux aux toitures à double pente, ce musée ne frappe pas par son originalité formelle, au premier regard. Un bardage en chêne vieilli rappelle l’architecture rurale locale mais la toiture est recouverte de panneaux d’acier et le rez-de-chaussée s’ouvre sur le paysage environnant par de larges baies vitrées. On remarque aussi un petit pont en béton brut, sorte de passage surélevé entre les deux corps de bâtiments principaux. L’objectif d’intégration paysagère de l’ensemble est réussi, David Chipperfield laissant la part belle à la pénétration de la nature environnante dans les différents points de vue créés, histoire de ne pas troubler ce petit coin tranquille des bords de la Tamise.
Cette démarche d’interpénétration entre l’espace naturel et l’espace construit n’est pas sans évoquer celle de la tradition japonaise, brillamment reprise par les architectes japonais contemporains dans maintes réalisations de ces vingt dernières années.
Le pavillon Kivik (2008)
Dans le cadre d’une manifestation associant art, architecture et design – le Kivik Art Center - organisée dans la campagne suédoise de la région d’Österlen, David Chipperfield, en collaboration avec l’artiste Antony Gormley, dessina un curieux objet architectural, éphémère OVNI en béton brut, semblant avoir atterri au beau milieu de la forêt et pourtant destiné à décliner les différentes façons de faire admirer le magnifique paysage sauvage de cette région méridionale.
Le pavillon Kivik est composé de trois volumes distincts, offrant aux visiteurs la possibilité de porter un regard sur la nature environnante selon la graduation suivante :
- Une base appelée « cave », directement posée à même le sol rocheux. C’est une sorte de boite murée qui ne laisse entrevoir la forêt qu’à travers des ouvertures circulaires perforées dans le plafond. La vision obtenue est fragmentée car l’architecture domine sur tout le reste et la lumière naturelle ne pénètre ainsi que par halos successifs.
- Un belvédère posé sur la « cave » et dénommé « scène ». il se compose d’un parallélépipède ouvert sur trois de ses côtés. La forte avancée du plafond forme une corniche volontairement saillante qui encadre le paysage lorsque l’on se trouve à ce niveau, le mettant effectivement « en scène », comme un peintre met en scène son tableau (un paysage par exemple) lorsqu’il en détermine le cadrage. Ici le regard porté sur les arbres se voit alors encadré par l’architecture, le paysage s’offrant au visiteur en de larges bandes horizontales, tels des paysages peints.
- Enfin, une tour, simplement appelée « tour », s’élance vers le ciel offrant un point de vue dominant la canopée, comme un regard libéré de toute contrainte architecturale. C’est toute l’immensité du ciel qui s’offre alors au visiteur parvenu au terme de ce parcours à la fois initiatique et symbolique.
Les clichés ci-dessous permettent de mieux comprendre la démarche de David Chipperfield.
Ninetree Village, Hangzhou (Chine), 2008.
Autre lieu, autre culture, autre défi. C’est au milieu d’une immense forêt de bambou chinoise que David Chipperfield réalise, entre 2004 et 2008, un ensemble résidentiel composé de douze bâtiments de standing, dont il conçoit également l’ameublement.
Afin de ne pas confronter le bâti avec la nature, il opte pour des constructions basses ne dépassant pas la hauteur des bambous, des toitures végétalisées et entoure les façades d’un réseau de panneaux coulissants en bois permettant aux occupants d’occulter plus ou moins les baies vitrées, selon le degré d’intimité recherché. Il reprend ainsi une tradition vernaculaire (= locale) qu’il adapte à une volumétrie et une conception plutôt occidentales, quant à elles.
L’effet obtenu est constamment mouvant, les panneaux bougeant selon les moments de la journée et les occupations domestiques des habitants, conférant aux façades des trames de densité variable, jouant aussi et surtout sur des effets d’opacité extérieure et de luminosité intérieure, comme le montrent les clichés ci-dessous.
Le Neues Museum de Berlin (2009).
Fort d’une expérience de plusieurs années dans l’art de bâtir les musées, David Chipperfield fut chargé, en 1997, de la rénovation du Neues Museum de Berlin, en collaboration avec Julian Harrap. Il conviendrait plutôt de parler de reconstruction car, cet immense bâtisse, élevée entre 1841 et 1859 dans la fameuse Île des Musées, dans la partie Est de la ville, avait été lourdement bombardée en 1945 et laissée à l’état de ruines pendant près de soixante ans par les autorités de la RDA.
Se conformant aux préceptes de la Charte de Venise (1964), relative à la déontologie de la restauration et de la conservation des bâtiments et sites historiques, David Chipperfield fit preuve d’une humilité hors du commun en cherchant à préserver au maximum les parties du bâtiment ancien qui pouvaient être sauvées, en les valorisant et en les reliant aux éléments nouveaux, de façon à constituer un réseau de correspondances à la fois formelles et historiques entre le passé et le présent.
De cette renaissance d’un lieu emblématique et chargé d’une histoire parfois pesante, il a obtenu un ensemble complexe et grandiose qui renoue avec les fastes du Berlin ancien mais qui n’occulte pas non-plus la tragédie de la Seconde Guerre Mondiale. Les traces des destructions subies sont visibles sur les vieux murs en briques, certaines pièces ayant été simplement nettoyées et laissées telles quelles, mais se voient également revitalisées par le bâti moderne en béton blanc qui tranche et prolonge d’une vie nouvelle les vastes espaces initialement conçus par les architectes successifs du XIXème siècle.
Les œuvres d’art antique exposées, elles mêmes survivantes des vicissitudes de l’Histoire, entrent ainsi en résonance avec un lieu qui lui-même porte les stigmates de la folie des hommes, capable du meilleur comme du pire.
Cette réalisation valut à son auteur de recevoir le Prix Mies van der Rohe en 2011, équivalent allemand du Grand Prix d’Architecture. Un long travail de mémoire et de créativité, réconciliant une ville avec son passé douloureux, se voyait donc récompensé, consacrant l’aura internationale de cet architecte anglais qui réalisera cette année le nouveau Musée des Beaux-Arts de Reims, dans un secteur historique, lui-aussi fortement marqué par les destructions d’une autre Guerre Mondiale, la Première, qui devait être la « Der des Ders »…..
Projet du nouveau Musée des Beaux-Arts de Reims (2012)