Poèmes de nos écrivains

 

Quelques poèmes de Tilda Reinitz

 

LA MER PLEURE

La mer pleure
Des hoquets d’infortune
En gros bouillons…
En vagues et en
Ecume…
Elle pleure sa solitude
Amante délaissée
Les voiliers sont au port.

 

POUR LA PREMIERE FOIS

Pour la première fois
Alors qu’il pleut dehors
Il fait soleil chez moi
Brûlants chauds incisifs
Tes châteaux en Espagne
Ont mis en ruine
Dessus leurs promontoires
Tous les miens châteaux d’If
Murailles contre rochers
Et j’ai gagné la guerre
Que tu as remportée…pour la première fois
Alors qu’il pleut dehors
De ses rayons lunaires
Le Soleil chez moi a
Percé.

 

J’AI VOYAGE

J’ai voyagé
Dessus tes océans
Mers de terre
Jaillissantes
Et j’ai abandonné
Dessus leurs vagues
Pas maritimes
Mes vieux hivers
Pour ton printemps

 

PENELOPE J’ETAIS

Pénélope j’étais
Espérant son Ulysse
Qui jamais ne venait
Je tricotais le jour
Des histoires bien tristes
Qui narraient négation
Et surtout désamour
Puis à la nuit tombante
Je défaisais les mailles
Et pelotais la laine
De mon récit macabre
Elle servirait encore…
Aussi longtemps que
La MORT…
Cauchemar de mes rêves
M’interdirait l’AMOUR
Pénélope j’étais
Espérant son Ulysse
Qui jamais ne venait.

 

ECRIRE

Et les mots sont
Pressés
De tomber sur la
Feuille
Ils se bousculent
Et s’entrechoquent
En phrases indisciplinées
Allant même parfois
Dans l’impatience
Jusqu’à se blesser…
Oui ! Les mots sont
Pressés
De tomber sur la
Feuille
Tellement ils aiment le
Papier.

 

ET LA VIEILLE ATTENDAIT

Dessus l’unique banc
Les yeux usés lisaient
Et puis de temps en temps
Ils se noyaient au large
Et dans l’eau se perdaient
Chapitre finissant…
Sur le paquebot blanc
Aux formes homériques
Il avait embarqué
Voila vingt-et-un ans

Il s’en est allé
Voyager l’Amérique
Mythique continent
Et si DIEU l’épaulait
Entreprise chimérique
Empocher de l’ARGENT

Il aurait épargné
Et puis il reviendrait
Pourfendant l’eau du large
Alors il serait riche et
Plus jeune qu’avant

Dessus l’unique banc
La vieille Pénélope
Espérait son Ulysse
Cœur et âme tremblants

Iliade ou Odyssée
Elle relisait les pages
Des fabuleux récits

C’était sa manière à elle
De freiner le temps
De ralentir les heures qui…
Inexorables fuyaient
Chaque jour davantage

Et la vieille attendait
Bravant tous les orages
Et la vieille attendait
Nuage dans les nuages
Vaillamment son retour.

 

Oscar Mandel : Six Poèmes d'il y a Longtemps

Cycle poétique, extrait du recueil "Cette Guêpe me regarde de travers", éditions Bruno Doucey, Paris, 2010, mis en musique par Yves RINALDI et créé lors du concert MusiComposer du 19 juin 2010 à l’auditorium de la Cité Internationale des Arts de Paris.

 

1. L’AMOUREUX

L’homme que tu choisiras d’aimer
Ne croira plus en la pluie,
Lundi sera pour lui dimanche,
Il ira pincer les joues d’un gros colonel,
Et il ne mourra jamais.

J’en suis presque là moi-même,
Depuis que tu me lanças, distraitement,
Deux mots, trois mots, presque courtois.

 

2. L’AMOUREUX COMBLE

Quand méprisé je gémissais,
Que de poèmes pleuvaient !
Tu m’as ouvert la porte.
Ma plume est morte.

 

3. L’AMOUREUX INQUIET

Trois jours d’absence, et dans cette cuillérée d’heures
Mugit un océan de peurs.

 

4. L’AMOUREUX IMPATIENT

Va ! Marche ! Avance ! Assis sur les heures
Comme un gros bœuf qui lui s’en fout
Je bats sa croupe avec mes fesses
Je sue d’effort de crier qu’il lève ses pattes
Je lui sussure des gentillesses furieuses je lui assène
Un bon coup de poing entre les oreilles-
Rien à faire ! Le lourdaud va comme il va.
Une fois par siècle
Nous dépassons un arbre et il y en a mille.

 

5. LE FOU REVE DE L’AMOUREUX (texte original mis en musique par Yves Rinaldi)

Je t’emmène vite vite dans un jardin
Mais un jardin vingt fois
Plus beau que paradis.
Peuplé d’herbes inconnues en France
Et de fleurs qui font pâlir nos parfums ;
Les moustiques y sirotent
Le suc des pommes
Et l’alouette dit à la grenouille
« Que tu chantes bien ! »
Dans mon jardin
Vingt fois plus beau
Que paradis.

Par-dessus nos têtes un soleil couleur orange
Engagé pour onze heures d’un matin
Sans fin dans un mai sans trêve,
Un nuage ou deux pour rire et des arbres
Ah ! des arbres se démenant comme des fous
Pour rester précisément sur place,
Près naturellement de toi, toi que leurs effrontés feuillages
Abritent et espionnent.

Tout autour j’érige une muraille
Epaisse, morose, faite d’une sale pierre rousse,
De la ferraille barbelée juchée dessus,
Et ça et là un molosse pas content.
N’ayant pas d’ailes
J’y creuse un portail (un seul),
Verrouillé d’un cadenas d’une tonne ou deux
Dont la clé est dans ma poche.
Ce portail a de l’esprit car il comprend
Que je suis concierge et roi.

Et après ? Ma langue s’en va.
L’heure de mon arrivée,
Le bonjour que je reçois,
Le poids et le contour de nos dialogues,
Les baisers qui les sabotent
Juste quand ils dépassent Socrate,
Les rires que mon brave mur nous renvoie,
Nos corps mouillés qui se tressent sur l’herbe-
Rien. Silence. Aucune ambition
D’être un faiseur d’évangiles ;
Et chaque jour vient nous unir
La cloche d’une église lointaine
Qui s’occupe d’autres que nous.

Et toi,
Jamais tu ne me demanderas cette clé,
Disant, ô si doucement, « Suffit !
« j’ai faim de la ville là bas, »
« bureau, la tante, les sous, les choses qui se fanent, »
Jamais tu ne la prendras de ma main,
Puisque ceux qui partent ne reviennent plus
Plus jamais
Dans mon jardin
Ce jardin
Vingt fois plus beau
Que paradis.

 

6. L’AMOUREUX BLESSE

Ils voient que je suis triste. Je leur dis pourquoi.
Crime n’est pas crime. Nos mots sont mensonge.

Partout des statues pour les grands meurtriers,
Et, qui sait ? Les tués aussi méchants que les tueurs.

Le soleil va s’éteindre. Le monde mange le monde.
Je meurs ni sauvé ni damné.

Ne sont-ce pas des raisons suffisantes ?
« Oui, l’homme est profond », disent-ils.

Naïfs ! S’ils savaient la vérité !
Tu m’as quitté, je pleure.