Les Vingt-quatre Préludes pour piano, op. 38 de Florentine Mulsant, composés entre 2010 et 2011, étaient très attendus par les mélomanes, admirateurs de l’œuvre du compositeur. Le rendez-vous musical était donc pris ce Dimanche, premier jour du mois d’avril. Ceux qui avaient cru à un poisson d’avril, n’avaient plus qu’à se rendre à l’évidence devant la salle pratiquement comble du Théâtre Adyar *, le concert « Beethoven- Mulsant » annoncé allait bien avoir lieu !
(La Salle du Théâtre Adyar concsturite en 1912 contient 385 places )
Les spectateurs déjà confortablement installés soit à l’orchestre soit au balcon, dans leurs fauteuils de cuir ou de velours rouge, lisaient attentivement le programme. Celui-ci promettait précisément deux sonates de Beethoven parmi les plus célèbres, la grande Sonate Pathétique en en do mineur, op. 13 n° 8 et la Sonate dite au clair de lune, en do dièse mineur op. 27 n° 2. Deux monuments dédiés au piano solo, pour encadrer le cœur même de ce récital, à savoir les Préludes op. 38 de Florentine Mulsant joués en public pour la première fois.
Il est maintenant 17 heures passées, Varan Mardirossian pianiste et chef d'orchestre, s’avance sur la scène à hauteur du grand Steinway et salue son public, les quelques mots de présentation qu’il prononce alors avec simplicité et humour suffisent à créer une atmosphère quasi amicale. Peu de virtuoses de classe internationale s’adressent à leur public avec autant de naturel. On notera la finesse et la générosité de ses commentaires musicaux sur les pièces qu’il s’apprête à jouer, mots prononcés avec justesse sous une apparente désinvolture. Ses remarques par exemple sur la forme sonate, chez Beethoven, habituellement écrite à quatre mouvements. Pourquoi la Sonate dite au Clair de Lune, commençant par un mouvement lent, se trouve comme privée de son premier mouvement Allegro ? Qu’a donc bien voulu réaliser et exprimer Beethoven ? Comment traduire et comprendre le mot Scherzo, officiellement « plaisanterie », Varan Mardirossian parle de blague de Beethoven, en prévenant malicieusement qu’une blague alla Beethoven ne fait pas rire ouvertement comme le ferait une vraie blague d'un comique . Une complicité entre lui, l'interpréte virtuose, et le public s’est immédiatement établie. Et au vu des sourires éclairant les visages, la salle entière était prête à l’entendre.
Faisant suite à une interprétation ardente des trois mouvements de la Sonate Pathétique , dont le dernier mouvement particulièrement lyrique, à la fois puissant et gracile, évoquait presque Schubert, ce sont les quinze Préludes op. 38 de Florentine Mulsant choisis parmi l’intégrale des vingt-quatre préludes que nous avons eu le plaisir de découvrir « in live », en direct et en présence du compositeur Florentine Mulsant, qui sera très chaleureusement applaudie à la fin de la prestation musicale.
L’appellation des « vingt-quatre préludes » en musique nous est familière et nous renvoie aux œuvres de Bach, Debussy, Rachmaninov…Pourtant Florentine Mulsant précise dans ce même programme que « ces préludes pour piano sont un hommage aux Préludes d’Alexandre Scriabine » et « Il n’y a aucune référence tonale dans l’écriture [des ]Préludes qui ont été écrits chronologiquement. Tour à tour mystérieux, jouant sur le jeu des résonances , rythmiques et passionnés, ils sont liés par une grande unité de langage » ( A ce propos, on peut aussi consulter sa notice sur son site.)
A l’écoute de ces joyaux pianistiques, nous retrouvons aisément les caractéristiques de résonance, de rythme, et les accents passionnés énoncés plus haut, caractéristiques auxquelles il faudrait ajouter l’exigeante technicité et la virtuosité si présentes (glissendo, combinaison d'écriture, verticale, arpégée et tempo rapides.) indispensables à une juste interprétation. L’unité du langage de ces préludes, parfaitement obtenue, tient de l' alternance entre les éléments de langage, rythmiques et harmoniques, mélodiques et dynamiques, favorisant une grande expressivité au sein même d'une écriture certes lyrique mais toujours sobre et mesurée.
Œuvre lumineuse et profonde, superbement servie par l’interprétation de Varan Mardirossian, jouant de la puissance et de la délicatesse de son phrasé et de son toucher pianistique (ainsi l'observe-ton dans les résonances, les effets d'écho, les contrastes entre les grands accords successifs et martelés et les passages plus feutrés, arpégés et évanescents, les différents tempi plus ou moins rapides). Pages poignantes aux harmonies douces-amères les préludes s’inscrivent bien dans la tradition de la musique française contemporaine, au gré de ces pièces au langage très personnel, on y décèle aussi une certaine audace, une indépendance de ton, alla debussyste, une sensiblilité d’un Dutilleux, une pointe de lyrisme plus ombragé d’un Scriabine.
« Ces pièces contemporaines deviendront des classiques dans un avenir proche » commente l’interprète, avant de nous confier : « c’est une grande joie et une grande émotion que de les créer ici ce soir devant vous ».
En effet, très virtuoses pour la plupart d’entre eux les préludes dans leur expressivité et la rigueur de leur écriture, s’inscrivent sans peine dans le grand répertoire classique contemporain.
Puis c'est déjà presque la fin ! La sonate au Clair de lune conclura le concert, quoi de plus difficile que d’interpréter l'une des œuvres les plus connues de Beethoven ? Varan Mardirossian en donnera pourtant une superbe interprétation, neuve ou plutôt renouvelée, c’est à dire comme entendue pour la toute première fois. On aura remarqué particulièrement l’Adagio, joué sans maniérisme aucun, et si spirituel, le Scherzo fort en espiègleries et le Final Allegro, ici con fuoco, - on ne distinguait plus les doigts du pianiste courant sur le clavier.
Final véritablement investi de la force mystérieuse des Préludes op.38 de Florentine Mulsant précédemment joués, encore habités du « cri furieux de l’art qui refuse l’exil qui voue la solitude à son évanescence… » comme le chantait Paul Gagnaire dans un de ses poèmes intitulé Tes préludes. De ce très beau concert, instant privilégié de partage et de beauté, ce sont aussi les vers du poète dédicataire des Préludes qui nous resteront en mémoire et nous accompagneront encore longtemps ainsi « Les fins oiseaux des mers dont l’abysse est dans l’œil volent dans ta musique, éperdus et sauvages… » Paul Gagnaire ( Tes préludes )
De nombreuses fois primée, Florentine Mulsant a reçu récemment le Prix Nadia et Lili Boulanger 2011 de l’Académie des Beaux Arts. Ses œuvres sont jouées à travers le monde par des interprètes renommés.[Pour découvrir son site www.florentinemulsant.com , écouter ses compositions sur deezer. relire son portrait sur le site de Jean-Louis Foucart.
Il ne nous reste plus qu'à remercier les artistes et maîtres, pianiste, compositeur, et poète pour ce moment exceptionnel, de musique et de poésie, et à souhaiter une belle vie aux Préludes op. 38 : la parution très prochaine de l'intégrale en CD ou DVD par exemple et bien sûr de pouvoir les entendre fréquemment en concert.
Emilie A.
[* à visiter le Théâtre Adyar : Salle à l’italienne datant de 1912 , il a tout juste 100 ans ! Ce théâtre parisien peu connu des musiciens, est situé près du Pont de l’Alma, non loin du musée des Arts Premiers , Quai Branly et de la Tour Eiffel. ]
Je regrette d'autant plus de n'avoir pas pu y assister :-p