Le poème d’Eluard la courbe de tes yeux
donnerait volontiers lieu à une mise en musique intimiste et convenue…Or, ici on est d’emblée plongés dans un poème musical quasi orchestral, avec cette distribution suivante:
voix soliste confiée au ténor, chœur mixte à 4 voix, un piano , à la fois délicat, riche et éloquent.
Dans cette très belle pièce ce qui apparaît le plus évident sont :
-le traitement du rythme par rapport au dit du poème :
Justesse et finesse des pré-cadences et des cadences elles-mêmes, puis à la tombée de chaque vers , désinence, silence, decrescendo ou crescendo.
L’ équilibre et dialogue entre le soliste ,le poète et ce choeur-témoin, qui est le confident d’une âme qui s’épanche, s’étonne, contemple et finalement s’ouvre sur un ( autre) monde.
Tout concourt à rendre cette impression d’ondoiement et de légèreté ( le vocabulaire marin et céleste y contribue certainement, tels les vocables : bateaux, auréole, mer, ciel, ailes )
-Les arpèges souvent symétriques , ascendants/ descendants, dès l’introduction (mesures 1 à 8 )
-
Les cellules répétées en triolet et tournoyant de façon obstinée (cf le piano dès les mesures 68 )
Ce rythme souple, ondoyant et continuel confère à la pièce musicale des allures de barcarolle (plus fauréenne que proprement romantique)
Les mesures 69 à la fin ,mes.102, constituent le passage le plus réussi,
harmoniquement ( heureux changements de couleur tonale ) et rythmiquement ,
dans cet étirement du temps, les valeurs des notes sont pensées en augmentation, (blanches rondes , noires ) ,les brèves se font rares ... Le ton est celui du recueillement, plutôt grave, mais sans sévérité, tout semble vouloir s’arrêter, la suspension du temps dédié à la contemplation est parfaitement rendue.
Aux mes 99 à 102 on entend presqu'un extrait de psaume confié au chœur, juste avant que le soliste ne conclût sur « le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Quelques autres remarques :
- Une harpe voisinant le piano , ne dépareillerait pas dans cette distribution , particulièrement aux mesures 36 à 44 .
- Faut-il vraiment entendre la partie ténor une octave plus bas que celle qui est notée ?
- Le motif trois doubles croches / noire joué au piano réapparait transformé au cours de la pièce ré ré si b fa / mes. 7 ou si b sib sol ré à la mes.16 / do # do # la mi mes. 33 : la # la #mi # do # mes. 86 ne symboliserait- il pas cette courbe des yeux mystérieuse ?
Seul bémol à ma lecture : A la mesure 16 le choeur attaque étonnamment son chant à l'instant où le soliste termine son vers sur " le mot douceur" , l'attaque est franche voire franchement violente, est ce voulu ? Cet oxymore musical il est vrai ne déplairait pas au poète qui chantait aussi "la terre est bleue comme ...une orange !"
Emilie