Sépa et Nésa
deux célèbres inconnus du Louvre
Statues de Sépa et Nésa (Néset)
Les collections du Musée du Louvre possèdent un ensemble exceptionnel de trois statues égyptiennes d'un même couple représenté grandeur nature et datant des tout premiers temps de l’histoire pharaonique : Sépa, (représenté deux fois) et son épouse Nésa qui vivaient aux alentours de l'an 2700 avant notre ère.
Acquises en 1837, c'est-à-dire à l’époque de l’inauguration du département égyptien du Louvre, on en ignore la provenance exacte. Elles proviennent de la collection de Jean-François Mimaut qui, entre autres bienfaits, empêcha le démantèlement de l'une des trois grandes pyramides de Giza dont les autorités égyptiennes de l'époque voulait prélever les pierres pour construire un barrage sur le Nil ! La tombe d’où elles proviennent demeure inconnue pour l’instant, tout comme la biographie des deux personnages représentés. On présume qu'elles proviennent de la nécropole de Saqqara, près du Caire, qui vit s'élever la première pyramide, celle du roi Djéser (vers 2700 av JC) dont Sépa et Nésa furent vraisemblablement les contemporains. Mais il est certain, compte tenu de la qualité exceptionnelle de ces trois statues, pour l’époque très ancienne où elles ont été sculptées, qu’elles furent produites par les ateliers royaux de Memphis, capitale de l’Egypte sous l’Ancien Empire (2613-2100 av JC). Nos deux célèbres inconnus étaient sans nul doute membre de la cour, pour avoir pu bénéficier d'un tel privilège, si l'on considère la taille exceptionnelle de ces effigies.
Les premières grandes statues de l'art égyptien
Elles sont les premières grandes statues de l’art égyptien (1,69 m de haut) et comptent parmi les plus grandes effigies de personnages non royaux de toute l’histoire de l’art pharaonique.
En effet, seul le pharaon bénéficiait du privilège de se faire statufier grandeur nature ou encore plus grand que nature ; les « colosses » étaient donc réservés au seul monarque. Pour jouir du privilège de statues aussi grandes, Sépa et son épouse devaient figurer parmi les personnes les plus importantes du royaume égyptien, en ce début de XXVIIème siècle av JC.
Que sait on au juste de l’identité de ces deux personnages ?
Sépa, représenté deux fois, était visiblement un très haut fonctionnaire du royaume. L’inscription gravée sur le socle lui attribue le titre de « Grand des Dizaines du Sud », c'est-à-dire d’administrateur de la Haute-Egypte, fief historique de la monarchie pharaonique.
Seul un proche parent du pharaon pouvait occuper un tel poste à cette époque de mise en place des structures de la société égyptienne où la haute administration requérait une forte proximité avec la famille royale .
Des critères stylistiques et épigraphiques permettent de dater ces œuvres du début dela IIIème dynastie (2686-2613), plus précisément du règne du pharaon Djéser, pour lequel l’architecte Imhotep bâtit le plus ancien ensemble architectural en pierre de taille du monde et la toute première pyramide : le complexe funéraire de la fameuse pyramide à degrés de Saqqara.
Vue partielle des ruines du complexe funéraire du pharaon Djeser à Saqqara, avec, à l'arrière-plan, la fameuse pyramide à degrés, première pyramide égyptienne, due au génie de l'architecte Imhotep.
Reconstitution du complexe funéraire du pharaon Djeser (Horus Neterikhet) à Saqqara, vers 2700-2680 avt JC
L’importance du personnage, sa probable parenté avec le pharaon régnant expliquent donc pourquoi ses deux statues et celle de son épouse, « la Dame Nesa » possèdent une telle taille et une telle qualité d’exécution, si on les compare avec les productions plastiques de l’époque. En général les statues non royales retrouvées dans les tombeaux dela IIIème dynastie sont de petite taille, n’excédant pas 50 cm et sont exécutées dans des pierres dures sombres (diorite) ou dans du granit rose. L’aspect en est schématique, l’anatomie succincte, les visages impersonnels et les détails du costume assez peu marqués. En outre, il s’agit surtout de représentations masculines.
Statue du prêtre Ankh, IIIème dynastie, Paris, Louvre.
Ici, il s’agit d’un calcaire coquillier, pierre généralement utilisée pour les bas reliefs ou les effigies royales comme en témoigne la célèbre statue du pharaon Djéser, elle aussi grandeur nature (1,42m en position assise) et vraisemblablement contemporaine des trois statues de Sépa et Nésa. Cette effigie royale, la première de grande dimension de l’art égyptien, a été retrouvée dans une chapelle isolée, prototype des serdabs aménagés dans les mastabas de l’Ancien Empire, au Nord de la pyramide à degrés de Saqqara. Malgré les mutilations subies, elle montre des qualités plastiques déjà affirmées, notamment dans le rendu des traits anguleux du pharaon, aux pommettes saillantes caractéristiques. Le roi porte une lourde perruque (rappelant celle de la statue de Nésa) recouverte de la coiffe funéraire Némes au plissé horizontal.
Statue du pharaon Djeser, Musée du Caire.
Trouvée dans le serdab de son complexe funéraire,
le roi est recouvert du manteau jubilaire du Heb-Sed.
Buste de la statue de Djeser montrant le roi portant une épaisse perruque recouvert du voile tripartite funéraire Némes.
Le pharaon porte la barbe postiche "osirienne" des rois défunts.
Autre caractéristique : le roi arbore une moustache, très à la mode sous l'Ancien-Empire.
Un autre moustachu contemporain de Djéser, le scribe royal Hésyrê, premier dentiste de l’Histoire connu (le titre figure sur les inscriptions de sa tombe), a légué son portrait à la postérité sur les panneaux d’acacia qui garnissaient le fond de 11 niches aménagées le long du couloir intérieur de son mastaba. Son visage anguleux montre des similitudes avec le style de la statue de Djéser. Il faut y voir la signature de l’atelier royal de cette période.
Détail d'un des panneaux de bois d'Hésyrê, sur lequel le haut fonctionnaire arbore un attirail de scribe, marque de sa dignité administrative.
Outre leur remarquable état de conservation, les statues de Sépa et Nésa possèdent déjà les conventions base de la statuaire égyptienne, lesquelles demeureront immuables pendant près de trois mille ans :
Détail du buste de la statue de Nésa. Des traces de peinture verte indique
la présence d'un maquillage à base de poudre de malachite broyée (= kohol).
Les costumes et les parures sont sobres, ce qui est une caractéristique des statues appartenant aux périodes anciennes de l’art pharaonique.
Sépa est vêtu d’un simple pagne court avec une retombée plissée de biais nouée à la ceinture, la boucle ressortant sur le flanc gauche. Il porte une perruque « boule » courte aux mèches disposées en rangées horizontales.
Nésa porte une longue robe fourreau à bretelles suggérant à peine les formes de son corps. Sa tête est garnie d’une lourde perruque tripartite (deux retombées sur les épaules et une retombée dans le dos) typique dela IIIème dynastie. Deux larges bracelets constitués d’anneaux accolés stylisés constituent son unique parure.
Les deux personnages sont représentés pieds nus, les sandales, très rarement portées, n’étant pas représentées sur les statues avant le Nouvel Empire (1550-1050 av JC).
Les statues devaient être à l’origine entièrement peintes ; seuls le noir (de charbon) des perruques et le cerne vert (malachite) du maquillage des yeux (pour des raisons essentiellement ophtalmologiques) subsistent. Le bourrelet entourant les yeux est typique, lui aussi du style dela IIIème dynastie.
Ces statues sont très anciennes, datant au moins du début du XXVIIème siècle (les inscriptions gravées sur les socles révèlent une épigraphie très ancienne). Elles souffrent encore d’archaïsmes dus au manque d’expérience des sculpteurs égyptiens dans la taille de statues de grande échelle :
Plus tard, les sculpteurs égyptiens maîtrisant toujours plus la technique de la taille, la silhouette et les proportions iront en s’allégeant, les espaces entre les membres et le reste du corps seront évidés et le rendu des détails anatomiques deviendra plus conforme à la réalité.
Dès le début dela IVème dynastie pourtant, soit à peine moins d’un siècle après la réalisation de Sépa et Nésa, les statues commencent à gagner en naturel. Le double portrait du prince Rahotep et de son épouse Nofret, chef d’œuvre inégalé, en constitue une illustration flagrante. Enfin, dès le règne de Khéops, les visages sculptés s’individualisent au point de livrer à la postérité d’authentiques portraits des hauts personnages de l’époque des grandes pyramides.
Des oeuvres issues des ateliers de sculpture royaux
Notons toutefois le souci du détail dans le rendu du plissé du pagne de Sépa et celui des mèches des perruques révélant une virtuosité dont seuls les ateliers royaux de Memphis étaient capables à cette époque, la production artistique provinciale demeurant rare et de qualité bien inférieure à celle de la Cour de Memphis.
Détail du visage de la princesse Nofret (2600 avt JC) dont la rondeur rappelle celui de Nésa,
dénotant une parenté stylistique
troublante entre les deux oeuvres, distantes d'un siècle.
De même, on retrouve des similitudes stylistiques entre le visage de Nésa et celui de Nofret, sculpté un siècle plus tard. L’arrondi du visage et la rondeur des joues dénotent notamment une origine commune, probablement celle des ateliers royaux de Memphis, les seuls capables de sculpter les effigies des membres de la famille royale et de la haute aristocratie destinées à immortaliser dans la pierre leur enveloppe charnelle dans la nuit de leurs chapelles funéraires et dont certaines furent retrouvées in situ dans les grands mastabas entourant les pyramides royales de Meïdoum, Dashour ou Giza par exemple.
La haute stature de Nésa, représentée à même échelle que son époux, est exceptionnelle dans la statuaire égyptienne où la femme est toujours de taille inférieure, sauf si dans la réalité elle était plus grande (dans ce cas elle était figurée à la même taille).
Même si l’inscription gravée sur le socle ne mentionne pas de filiation royale pour Nésa (ni pour Sépa d’ailleurs), il semble raisonnable de croire qu’elle était vraisemblablement issue de la plus haute classe sociale, compte tenu du caractère unique de sa statue : la plus grande statue féminine civile jamais retrouvée pour les hautes époques et, de surcroît, produite par les ateliers royaux.
Notons que la même « égalité » de taille se retrouve dans le double portrait du prince Rahotep et de son épouse Nofret, datant du début dela IVème dynastie, déjà mentionné plus haut. Faudrait il y voir le reflet d’un état ancien de la société égyptienne où une pseudo égalité entre les deux sexes semblait régner dans les classes dominantes ou plutôt l’indice d’une filiation de l’épouse plus « noble » que celle de son mari (les cas de mariages hétérogamiques dans lesquels l’homme se marie à une femme de condition plus élevée que la sienne n’étant pas rares chez les anciens égyptiens) ?
Le célèbre groupe du prince Rahotep et de son épouse Nofret,
provenant de leur tombeau de Meidoum,
début de la IVème dynastie (- 2600), Musée du Caire.
Malheureusement, l’origine exacte des trois statues du Louvre demeure inconnue. Leur destination funéraire, compte tenu de leur typologie, n’étant pas douteuse, comme c’est le cas de la quasi-totalité des statues de cette période, il reste à souhaiter qu’un jour on retrouvera le tombeau de Sépa et Nésa ou que des inscriptions permettront de lever définitivement le mystère entourant la biographie de ces deux égyptiens contemporains des premières temps de l’Ancien Empire. Les caractéristiques exceptionnelles de ces statues nous autorisent à imaginer qu’ils appartenaient à la classe dirigeante, voire à l’entourage du pharaon Djéser lui-même.
Enfin, n’oublions pas qu’avec ces trois grandes effigies de Sépa et de son épouse Nésa, nous nous trouvons face à d’authentiques chefs d’œuvre annonçant les plus grandes réussites de la sculpture royale de l’époque des grandes pyramides. Elles représentent un progrès vertigineux par rapport aux productions antérieures encore grossières et schématiques. Elles marquent véritablement la fin de l’archaïsme et le tout début du classicisme de l’art de l’Ancien Empire.
Avec les statues de Sépa et de son épouse Nésa, s’ouvre une des périodes les plus glorieuses de l’histoire de l’Egypte pharaonique : l’ère des grandes pyramides de pierre.
Reconstitution de la nécropole royale de Giza sous la IVème dynatie (2620-2500)
Quelques décennies après elles, les pharaons dela IVème dynastie, en dignes successeurs du roi Djéser, feront élever les monuments de pierre les plus hauts de toute l’Antiquité autour desquels de véritables cités des morts livreront aux archéologues des temps modernes des œuvres d’art qui demeurent parmi les expressions les plus élevées de la spiritualité et du génie humain.
L'étonnante statue d'Hémiounou, neveu du pharaon Chéops
et maître d'ouvrage de la Grande Pyramide (2550 av JC).
Hildesheim, Roemer- und Pelizaeusmuseum.