Les cloches de cette "Turmmusik" sont effectivement émancipées, pour ne pas dire délurées, tant le compositeur les sollicite et défie la virtuosité des deux percussionnistes qui auront la tâche de les faire chanter.
À partir d'un motif ascendant de départ, clairement posé et repris en canon par les différents protagonistes, la pièce chemine, à un tempo enlevé, en déclinant des variations, enrichies de motifs nouveaux, le tout dans une trajectoire toujours dynamique où la vivacité et la tonicité ne faiblissent jamais et où les instruments dialoguent en fanfare, au pied du clocher d'un village qu'on pourrait aisément situé dans l'Allemagne rurale ou encore en Autriche, et bien entendu, au Québec !
On reconnaît l'aisance de l'écriture des cuivres, avec ce souci constant de ne pas cantonner le trombone basse / tuba à un rôle de basse pédale ou, comme disait Berlioz à propos des contrebasses, de celui de "porteur d'eau". Chaque instrument fait la démonstration de sa virtuosité et de la spécificité de son articulation propre. Fait original, ce ne sont pas les trompettes qui claironnent le plus ici, la part belle étant accordée aux registres médium et médium grave. On évite ainsi la référence, presque obligée, aux trompettes baroques du Roi-Soleil. Ce sont plutôt les cloches qui se substituent aux trompettes dans la ligne de chant dominante, bien que chaque instrument soit mis en avant à tour de rôle.
L'impression générale oscille entre joie, musique ensoleillée et sensation de fraîcheur printanière. Lorsque les instruments jouent en tutti et que le rythme est dense, l'écriture évite soigneusement l'épaisseur et la surcharge sonore en optant pour une homorythmie et un parti-pris modotonal. Lorsque l'écriture se fait plus dissonante, flirtant parfois avec la polytonalité, la pâte orchestrale se fait au contraire légère, de façon à conserver une clarté dans la perception et le suivi de la partition.
Rares sont les partitions qui investissent les possibilités expressives des jeux de cloches avec autant de précision virtuose et l'on comprend mieux que Monsieur le curé soit un tantinet affolé par tout ce déploiement sonore inhabituel réveillant de façon tonitruante sa paisible église campagnarde encore engourdie par les frimas d'un long hiver neigeux.
Amitiés,
Y.R.