René Magritte "L'empire des lumières" ou la maison des rêves

René Magritte, "L'empire des lumières" (1954)

Dans cette célèbre toile que Magritte (1898-1967) déclina en 17 versions, le peintre explore le territoire des rêves et de l'inconscient, thèmes chers au Surréalistes dont il fut le peintre le plus populaire.


Avec le Surréalisme, le rêve redevient un thème d'étude fécond. Le Romantisme s'y était déjà intéressé mais comme moyen de décorporation de l'âme du dormeur permettant à celle-ci de rejoindre "L'âme universelle", sorte de résurgence du noos (équivalent spirituel du cosmos) des anciens grecs.

Le Surréalisme, nanti des expériences de création en état de rêve conscient (par l'ivresse ou l'opium notamment) pratiquée par certains des Romantiques ou des Décadents de la fin du XIXème siècle et par l'interprétation psychanalytique des rêves récemment inventée par Freud, remet le rêve sur le devant de la scène artistique, en tant que manifestation d'un inconscient "surréel" donc supérieur à la conscience en état d'éveil. Certains de ses membres, tels que Henri Michaux, n'hésitèrent pas à pratiquer le dessin ou la peinture en état d'éveil hallucinatoire du à la prise de mescaline, afin de pouvoir visualiser cette surréalité de l'âme, plus prosaïquement dénommée "inconscient". 

Le peintre belge René Magritte fut beaucoup plus sage et son oeuvre, féconde, porte de nombreuses traces de cette exploration de l'inconscient par les rêves. Cette oeuvre de 1954 en est presque un paradigme psychanalytique. Découvrons-en les éléments.

Un moment impossible

La scène, dans sa partie inférieure semble se dérouler la nuit, contredisant un ciel de plein-jour occupant la portion supérieure de l'image. De la confrontation de ces deux éléments impossibles au même moment de la journée, pourtant décrits chacun avec un grand souci de réalisme quasi-photographique, naît la sensation d'étrangeté, voire de malaise, recherchée par la peinture surréaliste : une rencontre impossible entre deux réalités plausibles mais pourtant paradoxales.

La maison, lieu d'élaboration de l'inconscient

Une maison s'endort. La porte et la plupart des volets sont déjà clos. Seules deux fenêtres éclairées révèlent, à l'étage, niveau habituellement réservé aux chambres, que des occupants sont encore éveillés et qu'ils s'apprêtent, peut-être, à éteindre la lumière pour plonger dans le sommeil, territoire d'émergence des rêves.

Ces deux fenêtres illuminées ressemblent à deux yeux encore ouverts. La maison est souvent le premier objet familier que les enfants dessinent car elle constitue le lieu où s'élabore la socialisation primaire de l'individu dans le cadre intime et parfois clos de la famille. C'est aussi là où se nouent des drames dont tout un chacun portera les stigmates inscrits au plus profond de son psychisme. Des drames parfois sources de conflits intérieurs, refoulements et autres névroses dont la psychanalyse est si friande.

La psychanalyste Françoise Dolto fut une pionnière dans l'analyse des dessins d'enfants, parvenant quelquefois à repérer des drames cachés, des souffrances refoulées voire des psychoses infantiles derrière des anomalies dans la représentation de la maison familiale et de ses occupants.

La maison fermée est donc la métaphore du "soi", le "self" ou encore "jardin secret" des poètes, ce lieu de l'identité intime où se construit l'ipséité de l'être, avec ses fantasmes et ses richesses. Elle est aussi le lieu de la libido et de ses désirs pulsionnels refoulés. C'est lorsque nous rêvons, durant la phase paradoxale de chaque cycle de sommeil, que, selon la théorie freudienne, notre inconscient resurgit, travesti par la censure morale sous une forme absurde et irrationnelle que Freud nomme "hallucinatoire". Il s'agit du contenu manifeste du rêve : ce que le rêve montre.

Les deux fenêtres encore illuminées sont les deux yeux encore ouverts sur le monde réel, conscient, au moment où l'on s'apprête à plonger dans la nuit des rêves, territoire de l'inconscient et de son cortège pulsionnel incontrôlé.

Le lampadaire allumé, juste devant la maison, semble symboliser cet état conscient, car le rêve, aussi incoercible soit-il, n'en demeure pas moins un processus psychique semblable à de la pensée raisonnée, mais dont la forme doit être décryptée (interprétée) pour redevenir cohérente et révéler derrière le contenu manifeste a priori absurde son contenu latent : ce que le rêve dit.

Le pan de mur, à droite de la composition, à la présence presque proustienne, renforce cette allusion à un lieu fermé à toute exploration de l'extérieur. Il se présente comme la limite matérielle, presque minérale, entre conscient (l'extérieur) et inconscient (la maison). Or, c'est lorsque nous rêvons que cette barrière devient poreuse, au point de permettre à notre inconscient d'émerger des profondeurs de notre être intime.

L'impossible miroir de la conscience

La maison est bâtie au bord d'une sorte de mare, un plan d'eau stagnante, lisse comme un miroir. Depuis le Romantisme, le thème du plan d'eau, miroir de l'âme, avec notamment celui du lac, fascine les poètes, philosophes et peintres. Miroir liquide, donc fragile, presque immatériel, il fait souvent face au ciel dont il constituerait symboliquement l'image inversée.

Le miroir a toujours été investi d'un symbolisme très riche, objet mystérieux révélant derrière le reflet qu'il nous offre de nous-mêmes, l'image de notre psychisme. "Miroir, mon beau miroir, dis-moi....." comme dit le conte de fées. N'est-ce pas non-plus en traversant un miroir que Jean Marais, Orphée-motard moderne, revisité par Jean Cocteau dans Le Testament d'Orphée (1960) rejoint son Eurydice aux enfers ?

Quant à l'eau, liquide matriciel lié à la féminité et à la sexualité, les religions et la psychanalyse se sont chargées de l'investir d'une signification aussi fertile qu'elle est indispensable à la vie même.

Or, en y regardant d'un peu plus près, on s'aperçoit que si la maison et le lampadaire se reflètent dans cette mare, le ciel, lui, y est étrangement absent. Cette anomalie visuelle indique peut-être que ce ciel n'est pas réel et qu'il appartient déjà au domaine du rêve.

L'arbre- lien

Entre la maison close de l'inconscient et la mare-miroir de la nuit, se dresse un arbre dont la présence occupe presque toute la portion gauche de la composition. Il est le seul élément du paysage traversant les deux espaces du tableau, celui de la nuit et du jour.

Depuis que l'homme a inventé le sacré puis l'écriture, il n'a cessé de vénérer ces grands végétaux dont la majesté et la durée de vie, souvent supérieure à celle d'une vie humaine, imposaient respect et fascination. Symboles de paix, de justice et de royauté, les arbres ont été sacralisés par quasiment toutes les religions, y compris par la Révolution qui érigea de nombreux "arbres de la liberté" au coeur de nos villages. Les dieux avaient chacun leur arbre sacré, les cérémonies druidiques se déroulaient sous des chênes sacrés et les mythologies font de ces végétaux des lieux privilégiés de communication avec le monde souterrain des morts et des monstres chtoniens (= souterrains), par les racines, ou avec celui des dieux du ciel, par les branches s'élançant vers les nuages, comme sur ce tableau de Magritte. Les romains plantaient des cyprès à proximité des nécropoles pour permettre aux âmes de morts de gagner le ciel plus aisément. Nos cimetières ont d'ailleurs repris cette tradition en la christianisant.

Ainsi, l'arbre de Magritte ferait-il le lien entre l'inconscient nocturne des rêves (la maison qui s'endort) et la conscience diurne (le ciel de plein-jour) comme il relie les âmes des morts au monde des vivants. Pendant des millénaires, n'a-t-on pas cru que les rêves étaient des messages prophétiques délivrés au rêveur par les dieux et les défunts ?

 

Dans la version ci-dessous, Magritte accentue les contrastes de clair-obscur et donc l'étrangeté de l'atmosphère du tableau mais occulte également cette mare-miroir pourtant si riche de sens.

 

 

Le rire rend joyeux

LE RIRE REND JOYEUX

(ET NON L'INVERSE)

 

On croit souvent que le rire marque la joie de celui qui rit. Dans son essai Le Rire (1899-1900), le philosophe français Henri Bergson notait qu'au fur et à mesure que le public riait à une pièce de théâtre comique, les rires se faisaient plus fréquents, nombreux et forts.

 

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Henri Bergson (1859-1941)

Nous avons tous fait l'expérience de sourire, voire de rire, au spectacle d'un groupe de personnes s'esclaffant à côté de nous, dans un lieu public, sans pour autant connaître la cause de leur hilarité. Ce qui fait dire à la sagesse populaire que le rire est "communicatif". Les travaux menés par la neurophysiologie, aidée par l'imagerie médicale (IRM notamment), montrent que ce sont les mêmes zones du cerveau qui sont sollicitées et qui s'activent lorsque nous entendons rire que lorsque nous rions nous-mêmes : le rire devient alors un réflexe neurophysiologique indépendant de toute considération sur l'objet/le sujet du rire.

 

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