Imagine un bateau

Cette mélodie dédiée à une voix de baryton et chœur mixte, accompagnée d’un ensemble instrumental est une barcarolle mélancolique.
Plus complexe qu’une simple danse désinvolte au rythme souple et régulier - noire pointée, croche, noire , - se balançant au gré des registres aigus et médiums , cette pièce est construite sur une étonnante base rythmique, obstinée jouée pizzicato par les cordes , entrecoupée de soupirs, assurant ainsi ce côté haletant et lancinant présent dans toute la pièce.

Dans les deux pages les variations de tonalité concourent à accentuer le caractère sombre ou plus solaire du morceau mais par « effet contraire ». On entend d’abord la b majeur et mi b majeur (mesure. 24 audio : à 0 ‘41) puis ré b majeur plus sombre , qui vient dès la mesure 30 (audio/ 0 ‘48) a contrario souligner un moment heureux ,( le bateau se libère ! ) :
« et sa proue de poussière, heureux il peut sentir le vent… » or, l’accompagnement ici se restreint, ne restent que les cordes graves, cello et contrebasses, jouant toujours en notes pizzicati et mettant d’autant mieux en valeur la voix du poème, ( baryton/ cor en fa)
Mesure 44 : ( audio : 1’ 10 ) le premier thème dansant réapparait depuis le hautbois, jusqu’au basson, cette fois ci accompagné par des arpèges brisés obstinés, eux-aussi) car, tournoyants pendant 6 mesures (en fait 3 fois les 2 mêmes mesures exactement) , ces croches répétées sont jouées par la harpe. Puis la voix du baryton reprend le dessus, plus affirmée et joyeuse , « il reviendra, il racontera. »
A la coda, chœur et ensemble instrumental se rejoignent allant crescendo jusqu’à la note finale.
Les procédés musicaux ici habilement combinés, confèrent à cette « barcarolle sérieuse», un côté intimiste et poétique , assez proche d’une pastorale.

Emilie

Merci, chère Emilie, pour ce commentaire aussi précis que sensible et qui met effectivement bien en exergue la notion d'intimité qui m'a séduit dans ce poème de Stéphane Bataillon.
Dans ce recueil intitulé Où nos ombres s'épousent, Stéphane Bataillon dévoile progressivement sa douleur et son chagrin d'avoir prématurément perdu sa jeune épouse au fil d'un itinéraire poétique d'une grande retenue, d'une rare sensibilité pudique, jamais larmoyant donc d'autant plus émouvant : "Je t'avais promis une caresse chaque soir ; désormais, ce sera un poème" dit-il, en guise de dédicace, à cette "ombre" tant aimée et à jamais disparue..
Le poème choisi "Imagine un bateau" clôt cet itinéraire de deuil par une note maritime empreinte d'une rêverie presque enfantine : la poussière du vieux bateau abandonné au port par l'oubli des hommes se mue en poussière d'or et, au terme d'un périple que l'on imagine lointain et fertile en découvertes merveilleuses, le bateau revient raconter ses aventures (lesquelles ?) aux deux amants, avant de disparaître "dans un grand feu de joie".
Comme pour triompher de la mort, ce bateau qui se libère lui-même de ses amarres part dans un ultime voyage embrasser l'infini de l'horizon. Avec peu de mots, mais des mots justes, l'auteur semble s'être réconcilié dans ce dernier poème avec le présent dont il a su transcender la douleur d'adulte inconsolable en recouvrant ses yeux d'enfant émerveillés par la promesse d'un beau voyage par-delà les mers.
J'ai ainsi voulu orner ce texte touchant d'une musique simple et douce dans laquelle les instruments et la voix, celle du poète, dialoguent à l'aide de courts motifs aux accents heureux qui se répondent en écho sur les vagues, pour finalement se perdre, emportés, eux-aussi par la nostalgie d'une insouciance perdue.

Amitiés,

Yves