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Une narratologie "naturelle" de la musique
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SUJET: Une narratologie "naturelle" de la musique

---Re: Une narratologie "naturelle" de la musique il y a 11 ans, 10 mois #933

  • nicolasmarty
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Nicolas,

C'est de la musique électroacoustique qu'il s'agit, et ça change beaucoup parce que c'est justement en comprenant, d'après ce que les gens en disent, ce qu'ils en vivent, qu'il sera possible aux compositeurs de se rapprocher du public. La question de la signification de la musique électroacoustique est un grand problème (c'est le sujet de la conférence EMS12 à laquelle je vais la semaine prochaine) qui nécessite des réponses.

C'est un mémoire de musicologie, pas de psychologie, mais la musicologie englobe la psychologie de la musique (mon directeur de recherches, François Madurell, travaille dans ce domaine).

Quant à l'investissement théorique, il est nécessaire si on veut pouvoir dépasser les habituelles banalités qu'on entend, du genre "c'est un son anecdotique, évocateur, donc subjectif" : d'accord, c'est "anecdotique", "évocateur" et "subjectif" (tout est subjectif, au passage...), mais qu'est-ce que ça signifie pour la personne qui l'entend ? Qu'en fait-elle ?

De la même manière, pourquoi les gens ont-ils souvent tant de mal à accepter la musique contemporaine en général ? Comment la perçoivent-ils et quelle construction mentale en font-ils pour la rejeter à ce point ?

Et, comme dans tout modèle cognitif, il ne s'agit pas de rendre compte de la réalité des choses telle qu'elle serait définie par les circuits neuronaux, mais de poser un modèle conceptuel qui permette de pousser la discussion plus loin.

Mais je comprends votre scepticisme. Si vous avez du temps cet été, et que cela vous intéresse de tenter de mieux comprendre mon point de vue, je pourrai vous envoyer un pdf de mon mémoire, où toutes ces choses sont abordées de manière progressive, avec une expérience pour évaluer le modèle (et donc plein de statistiques concernant le discours !).

---Re: Une narratologie "naturelle" de la musique il y a 11 ans, 10 mois #934

  • JLF
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Tout ça me rappelle une thèse que le compositeur Fabien Levy m'avait envoyé il y a 10 ans (je ne sais comment il m'avait trouvé?) quand j'écrivais mes "20 leçons d'harmonie".
Sa thèse s'intitulait :
COMPLEXITE GRAMMATOLOGIQUE ET COMPLEXITE APERCEPTIVE EN MUSIQUE
Étude esthétique et scientifique du décalage entre la pensée de l’écriture et la perception cognitive des processus musicaux sous l’angle des théories de l’information et de la complexité.
Fabien Lévy sous la direction de Jean-Marc Chouvel
Co-direction : Marc Chemillier

Cette thèse que j'ai conservée n'était pas d'un abord facile, comme le sont souvent les thèses, mais restait lisible pour le "vulgum pecus" et j'ai beaucoup appris sur la musique contemporaine.
L'approche est affaire de temps pour "entrer dans la danse" comme dirait l'autre (que ne dit-il pas, cet "autre"!
Nicolas je te souhaite de persévérer, condition sine qua non pour réussir!
Sur le fond, comme les autres, je suis trop fainéant pour "entrer dans la danse" et te dire ce que j'en pense, mais je suppose que tu ne te faisais pas d'illusions

---Re: Une narratologie "naturelle" de la musique il y a 11 ans, 10 mois #936

  • nicolasmarty
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Merci de ta réponse, Jean-Louis.

Si tu es motivé, je pourrai à toi aussi t'envoyer mon mémoire une fois qu'il sera terminé. Le fait que le tout soit présenté de manière progressive permet déjà une approche plus simple. En attendant, le troisième chapitre de mon mémoire est déjà publié sur narratologie.revues.org/6476 et rentre dans le coeur du sujet en introduisant les concepts d'agentisation, d'objétisation et de sémantisation / contextualisation. J'y termine par une pré-version (plus simple) du modèle.

Bonne lecture aux amateurs !

---Re: Une narratologie "naturelle" de la musique il y a 11 ans, 10 mois #937

  • nicolasmarty
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C'est dommage que je ne puisse pas venir au concert demain, on aurait pu se rencontrer et j'aurais peut-être mieux réussi à vous expliquer les contours de mes recherches.

Donc en voici un aperçu beaucoup plus simplifié que tout ce que j'ai fait jusqu'à présent :

1) La narrativité ne se limite pas au racontage d'histoires, mais repose sur le fait que le lecteur / auditeur considère un sujet (lui, un autre humain ou un être imaginé) comme vivant une expérience.

***

2) Je distingue donc quatre possibilités :

a) celui qui expérience est l'auditeur lui-même (il "vit" le temps de l'oeuvre, il "ressent" des choses)

b) celui qui expérience est un autre être (l'instrumentiste, le spatialiseur, le compositeur, ou bien un être imaginé à partir de sons de type vocal ou d'associations avec des situations connues comme des films ou des expériences personnelles, par exemple --> alors, se déroule le processus d'imagination d'une histoire ou d'un paysage, par exemple)

c) il n'y a personne qui expérience : le système musical peut alors servir de point de référence auxquels sont comparés les évènements (par exemple, une sortie du système tonal est remarquée dans une pièce tonale justement parce qu'elle s'en éloigne)

d) une dernière possibilité est la disparition du concept même d'expérience, qui s'approche un peu du concept bouddhiste de nirvana et correspond à l'écoute du son pour lui-même, sans aucune considération ni de sens, ni d'indices, ni même de qualités d'objet sonore.

***

3) Mes développements portent par la suite principalement sur le point 2b), c'est-à-dire sur la construction d'un monde "diégétique", d'un monde où existent et où se passent des êtres et des choses. Dans le cas de la musique électroacoustique, c'est lié à notre manière d'interpréter le son, de l'identifier. A l'écoute d'un son de voix :

a) on peut ne le considérer que comme un son (il n'y a personne qui se cache dans les haut-parleurs !) et n'en considérer que les qualités de mouvement

b) on peut identifier le son de manière référentielle, comme une voix, supposant alors qu'elle a un producteur humain qui pourra devenir celui qui expérience

***

4) Tout ça continue mais à ce point, il est justement nécessaire d'avoir posé des concepts qui permettent de développer sans devoir constamment faire des formulations tordues et utiliser des expressions longues. Par exemple, le fait de choisir un sujet comme étant celui qui expérience se résume par le terme "focalisation". Le fait de comprendre le son de voix comme marqueur de la présence d'un humain se résume par le terme "humanisation". Etc. etc. et on s'amuse...

---Re: Une narratologie "naturelle" de la musique il y a 11 ans, 10 mois #938

  • Nicodem
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Merci Nicolas de ces précisions,

Ces sujets ne m'intéressent pas assez pour que j'y consacre du temps vu l'investissement immense qui serait nécessaire. Je n'ai rien compris à ton post #937 et je n'ai pas envie d'essayer. Les autres sont dans le même état d'esprit d'après ce que j'ai compris.

Je me contente d'essayer de comprendre la finalité pour toi de ce travail, afin d'évaluer si tu ne t'engages pas dans la voie décrite par Jonathan Swift dans les chapitres sur les savants fous de Laputa des voyages de Gulliver

Pour l'instant je n'ai pas été très convaincu par tes arguments sur la finalité. C'est fondamental pour moi cette question de la finalité.

Il est donc admis comme prémisse que la musique électro-acoustique suscite un rejet que l'on cherche à comprendre en construisant un modèle hyper-théorisé. Peut-être simplement et justement est-ce un art qui fait trop appel à l'intellect, construit en fait par l'intellect ? Je le ressens personnellement en en écoutant. Je ressens quelque chose de proche avec l'art contemporain qui valorise les idées et concepts au détriment de la qualité artistique de la réalisation. Si le concept est génial, l’œuvre ne peut que l'être aussi.

Est-ce au moins pour orienter la musique contemporaine vers des réalisations plus acceptées par un large public ? Je n'ai pas l'impression que c'est le but recherché.

Ce que je perçois intuitivement, mais je peux me tromper, c'est que tu portes un amour très grand aux constructions intellectuelles, une forme d'esthétisme où ton intelligence peut exceller, et que tu es fier d'apporter ta pierre avec une belle construction. La finalité est secondaire.

J'espère que tu ne m'en voudra pas de ma franchise, et si je me trompe, et bien je suis tout disposé à le reconnaître si tu avances des arguments qui précisent un peu mieux concrètement et exhaustivement la finalité (en termes compréhensibles pour moi).

---Re: Une narratologie "naturelle" de la musique il y a 11 ans, 10 mois #940

  • nicolasmarty
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Nicolas,

Si j'apprécie effectivement de pouvoir faire "exceller mon intelligence", ça n'est pas le but premier de mes recherches.

Ta position vis-à-vis de l'art contemporain est celle de beaucoup de gens qui n'arrivent pas à s'y ouvrir. Ce que tu décris existe (le conceptuel pour le conceptuel) mais principalement dans le domaine de l'art plastique. En musique, le conceptuel n'a que très peu existé. Même le sérialisme, qui s'est énormément fait reprocher son conceptualisme, n'est en fait qu'un système qui permet de ne pas se soucier de hiérarchies entre les notes, et de pouvoir concentrer la composition sur la syntaxe.

Par ailleurs, comme je te l'avais déjà dit, le conceptuel est partout, ne serait-ce que chez Bach qui utilise des suites de chiffres et des symbolismes (une forme de conceptualisme) dans toutes ses oeuvres.

En musique électroacoustique, on ne trouve pas du tout de conceptuel "pur". Les compositeurs travaillent soit du côté du son, soit du côté du geste, soit du côté de l'espace virtuel, soit du côté de la syntaxe (ce sont les quatre orientations de mon modèle). Le problème du public général est qu'il est tellement habitué à être entièrement porté par une musique constituée d'un nombre très fini de notes (entre 5 et 9, en général) et d'accords (tout juste autant) que l'intérêt du son lui-même ne paraît pas une valeur musicale (c'est ce que j'ai vu ici quand je prônais la qualité sonore et qu'on me répondait en me disant que le son ne fait pas la musique...).

Dans la musique électroacoustique, le son beau est recherché. C'est une première chose.
Ensuite, plutôt que des gestes stéréotypées du genre cadences et formules mélodiques, ce sont des gestes originaux qui se trouvent (et qui peuvent être "vécus" selon les auditeurs).
Par ailleurs, le traitement de l'espace permet de créer des mondes imaginaires.
Enfin, la syntaxe existe encore, et les évènements musicaux sont dirigés (un premier événement peut sembler en amener un autre).
Mais ce sont des choses que le public n'écoute pas facilement. C'est quelque chose qui s'acquiert (plus difficilement que la musique tonale dans laquelle on est plongés depuis la naissance, et qui n'est pas moins conceptuelle ni plus vraie que quelque autre musique que ce soit).

Tu as pu le comprendre, j'imagine, ce n'est pas pour que les compositeurs modifient leur activité pour être acceptés par un plus large public. Le travail à faire de ce côté-là est à faire par le public. Les compositeurs ne peuvent pas se permettre d'attendre les plus réticents. En revanche, c'est pour pouvoir permettre de mieux prévoir les réactions potentielles du public, à divers niveaux, pour le compositeur : "si j'écris ça, qu'est-ce qu'on peut entendre ?" - et pour pouvoir en discuter entre compositeurs avec un langage uniforme et défini, plutôt que de se perdre en métaphores diverses.

Et comme j'ai dit, je vois par ailleurs plus loin que cette année, parce que je souhaite intégrer de plus en plus la psychologie cognitive, expérimentale, puis clinique dans mes recherches musicologiques. Ce qui permettrait d'interpréter des discours sur l'écoute d'extraits électroacoustiques en terme d'organisation mentale et psychologique, notamment, grâce à l'identification de divers processus d'écoute chez les sujets.

Pour revenir sur la question du conceptuel de manière beaucoup plus simple (mon discours précédent restant peut-être un peu ésotérique), la prochaine fois que tu écouteras une pièce électroacoustique (je viens d'en poster une, si ça t'intéresse), tu pourras écouter quatre choses :

1. est-ce que le son est beau ? est-ce qu'il est "rugueux" ? "lisse" ? "brillant" ? "mat" ? etc.

2. est-ce que le mouvement général fait quelque chose à mon corps ? (dans la dernière partie de ma pièce, c'est tout à fait adapté) est-ce que je ressens quelque chose (positif ou négatif) ? le temps passe-t-il plus ou moins vite que d'habitude ?

3. est-ce que je peux m'imaginer que ce que j'entends forme un monde imaginaire où se déroulent des choses ? est-ce que ça m'évoque des souvenirs ? est-ce que ça me rappelle quelque chose ?

4. est-ce que les évènements semblent se faire suite, s'enchaîner ? est-ce que certains évènements semblent avoir un rôle particulier comme par exemple marquer le passage entre des parties ? est-ce que certains sons se répètent à l'identique à plusieurs endroits ? etc.


Ces quatre questionnements te permettrons, j'espère, de comprendre l'intérêt que j'ai à chercher les stratégies d'écoute, ce qui me donne aussi la possibilité, ayant compris pour ma part comment cela s'organise, de l'expliquer aux autres. Avec l'effort de revenir à un langage compréhensible, certes, mais l'explication ne pourrait être aussi claire sans les recherches et théorisations préalables.

Je ne t'en veux pas du tout ! N'hésite pas à commenter, critiquer, etc., ça me permet de remettre aussi en cause ce que je fais et d'y réfléchir plus. Et j'aime le défi d'essayer de faire aimer les musiques contemporaines !
Dernière édition: il y a 11 ans, 10 mois par nicolasmarty.
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