Nicolas,
Si j'apprécie effectivement de pouvoir faire "exceller mon intelligence", ça n'est pas le but premier de mes recherches.
Ta position vis-à-vis de l'art contemporain est celle de beaucoup de gens qui n'arrivent pas à s'y ouvrir. Ce que tu décris existe (le conceptuel pour le conceptuel) mais principalement dans le domaine de l'art plastique. En musique, le conceptuel n'a que très peu existé. Même le sérialisme, qui s'est énormément fait reprocher son conceptualisme, n'est en fait qu'un système qui permet de ne pas se soucier de hiérarchies entre les notes, et de pouvoir concentrer la composition sur la syntaxe.
Par ailleurs, comme je te l'avais déjà dit, le conceptuel est partout, ne serait-ce que chez Bach qui utilise des suites de chiffres et des symbolismes (une forme de conceptualisme) dans toutes ses oeuvres.
En musique électroacoustique, on ne trouve pas du tout de conceptuel "pur". Les compositeurs travaillent soit du côté du son, soit du côté du geste, soit du côté de l'espace virtuel, soit du côté de la syntaxe (ce sont les quatre orientations de mon modèle). Le problème du public général est qu'il est tellement habitué à être entièrement porté par une musique constituée d'un nombre très fini de notes (entre 5 et 9, en général) et d'accords (tout juste autant) que l'intérêt du son lui-même ne paraît pas une valeur musicale (c'est ce que j'ai vu ici quand je prônais la qualité sonore et qu'on me répondait en me disant que le son ne fait pas la musique...).
Dans la musique électroacoustique, le son beau est recherché. C'est une première chose.
Ensuite, plutôt que des gestes stéréotypées du genre cadences et formules mélodiques, ce sont des gestes originaux qui se trouvent (et qui peuvent être "vécus" selon les auditeurs).
Par ailleurs, le traitement de l'espace permet de créer des mondes imaginaires.
Enfin, la syntaxe existe encore, et les évènements musicaux sont dirigés (un premier événement peut sembler en amener un autre).
Mais ce sont des choses que le public n'écoute pas facilement. C'est quelque chose qui s'acquiert (plus difficilement que la musique tonale dans laquelle on est plongés depuis la naissance, et qui n'est pas moins conceptuelle ni plus vraie que quelque autre musique que ce soit).
Tu as pu le comprendre, j'imagine, ce n'est pas pour que les compositeurs modifient leur activité pour être acceptés par un plus large public. Le travail à faire de ce côté-là est à faire par le public. Les compositeurs ne peuvent pas se permettre d'attendre les plus réticents. En revanche, c'est pour pouvoir permettre de mieux prévoir les réactions potentielles du public, à divers niveaux, pour le compositeur : "si j'écris ça, qu'est-ce qu'on peut entendre ?" - et pour pouvoir en discuter entre compositeurs avec un langage uniforme et défini, plutôt que de se perdre en métaphores diverses.
Et comme j'ai dit, je vois par ailleurs plus loin que cette année, parce que je souhaite intégrer de plus en plus la psychologie cognitive, expérimentale, puis clinique dans mes recherches musicologiques. Ce qui permettrait d'interpréter des discours sur l'écoute d'extraits électroacoustiques en terme d'organisation mentale et psychologique, notamment, grâce à l'identification de divers
processus d'écoute chez les sujets.
Pour revenir sur la question du conceptuel de manière beaucoup plus simple (mon discours précédent restant peut-être un peu ésotérique), la prochaine fois que tu écouteras une pièce électroacoustique (je viens d'en poster une, si ça t'intéresse), tu pourras écouter quatre choses :
1. est-ce que le son est beau ? est-ce qu'il est "rugueux" ? "lisse" ? "brillant" ? "mat" ? etc.
2. est-ce que le mouvement général fait quelque chose à mon corps ? (dans la dernière partie de ma pièce, c'est tout à fait adapté) est-ce que je ressens quelque chose (positif ou négatif) ? le temps passe-t-il plus ou moins vite que d'habitude ?
3. est-ce que je peux m'imaginer que ce que j'entends forme un monde imaginaire où se déroulent des choses ? est-ce que ça m'évoque des souvenirs ? est-ce que ça me rappelle quelque chose ?
4. est-ce que les évènements semblent se faire suite, s'enchaîner ? est-ce que certains évènements semblent avoir un rôle particulier comme par exemple marquer le passage entre des parties ? est-ce que certains sons se répètent à l'identique à plusieurs endroits ? etc.
Ces quatre questionnements te permettrons, j'espère, de comprendre l'intérêt que j'ai à chercher les stratégies d'écoute, ce qui me donne aussi la possibilité, ayant compris pour ma part comment cela s'organise, de l'expliquer aux autres. Avec l'effort de revenir à un langage compréhensible, certes, mais l'explication ne pourrait être aussi claire sans les recherches et théorisations préalables.
Je ne t'en veux pas du tout ! N'hésite pas à commenter, critiquer, etc., ça me permet de remettre aussi en cause ce que je fais et d'y réfléchir plus. Et j'aime le défi d'essayer de faire aimer les musiques contemporaines !