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L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses
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SUJET: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses

Re: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses il y a 10 ans, 5 mois #1895

  • bricas
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A mon avis, il convient de faire attention lorsque l’on parle d’atonalisme : il y a « l’atonalisme organisé en systèmes» comme le dodécaphonisme, le sérialisme, et « l’atonalisme libre »qui est aussi caractérisé par l’abandon de la hiérarchie des notes, de la résolution des dissonances, ainsi que de règles de constructions formelles en vigueur dans la musique tonale. Une position rigide préconisant un retour à la tonalité telle qu’elle était pratiquée avant la « bagatelle » de Liszt et même encore par certains compositeurs du 20° siècle, et qui est encore la règle dans la majorité de la musique populaire occidentale, me parait insoutenable en dehors de la « musique populaire », précisément. On ne peut pas dire que l’atonalisme libre ne fait pas sens, car l’atonalisme libre permet parfaitement l’expressivité comme en témoignent incontestablement de nombreuses œuvres contemporaines. Comme du temps de la musique tonale, il y a des compositeurs contemporains qui produisent des œuvres ayant peu de « sens » ou aucun « sens », c'est-à-dire qui ne réussissent pas à éveiller en nous une « émotion musicale », et d’autres qui y parviennent.

Les systèmes ayant prétendu organiser l’atonalisme ont globalement échoué bien qu’émanant d’esprits très brillants, mais même là il faut être prudent dans son jugement car on peut difficilement ignorer des œuvres comme « Wozzeck », « Moïse et Aaron », « Lulu », le « Concerto à la mémoire d’un Ange » et des petites pièces de Webern par exemple, bien qu’elles soient sans doute « entachées » de « réminiscences tonales » (parait-il…).

Mais la musique ne peut être réduite à un « jeu intellectuel », tel que le Sudoku par exemple…

Re: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses il y a 10 ans, 5 mois #1896

  • Nicodem
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Oui, il manque une délimitation de l'atonalisme couvert par sa démonstration, j'aime bien "l'atonalisme organisé en système". Je vais écouter les pièces que vous citez.
"sens" et "émotion musicale", ou "expressivité" sont bien sûr reliés, mais pas identiques dans son argumentation. J'aime beaucoup son analogie avec le langage et la littérature.

Re: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses il y a 10 ans, 5 mois #1912

  • ermier
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Eh oui ,même cinquante ans après les querelles très virulentes entre les pro -bouléziens, ircam, Domaine musical etc ...et les néo classiques ou néo-tonaux ,les réactionnaires etc...la dispute continue.Le tabou absolu demeure encore aujourd'hui de mettre quelques bémols ou dièzes à la clé. Ce n'est plus Boulez contre Landowski mais Dusapin contre Ducros.
Pourtant, comme vous, je trouve que cette conférence révèle quelques vraies questions et surtout se place d'un point de vue jusqu'alors jamais exploré: celui de l'auditeur. ( je reprends ici l'argument de Bricas)
En reprenant des compositions contemporaines avec des fautes volontaires, il démontre que l'auditeur sincère,, a perçu en réalité bien peu de choses.Et s'il applaudit, il le fait par conformisme social, de peur de paraître rétrograde.Très concrètement, dans une composition , l'auditeur cherche un paramètre qu'il connait pour accepter d'autant mieux ceux qu'il ne connait pas .Nos oreilles sont aujourd'hui parfaitement habituées par ex à une oeuvre comme Le Sacre car sa modernité trouve son assise sur des enchainements harmoniques cadentielles traditionnels ( V-I).
Peut-être l'erreur de Ducros est de laisser croire qu'aujourd'hui le problème demeure. C'est pourtant en partie inexact car plus personne n'écrit en sérialisme intégral ( c'est à dire avec aucun paramètre privilégié). Toutefois, hélas, beaucoup de compositeurs continuent pour autant de reprendre les clichés d'écriture "musique contemporaine" (ex saut constant de septième, jouer hors registre normal de l'instrument, complexité rythmique..).
j'ai souvenir d'avoir lu dans son traité d'harmonie pour le piano que Jacques Chailley en reprenant petit bout par petit bout une pièce de Webern arrivait à démontrer son caractère tonal.
Cela dit j'ai écouté la musique de M. Ducros , j'avais l'impression d'entendre le trio de Ravel. Sur ce point là je préfère encore Dusapin.

Eric

Re: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses il y a 10 ans, 5 mois #1920

  • rinaldi
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Bravo à vous trois pour vos propos éclairants qui extirpent le débat de ses habituelles ornières idéologiques. Pour ma part et en tant qu'auditeur insatisfait par la musique contemporaine dite prospective, j'ai souvent l'impression que d'avoir voulu tout décloisonner a abouti à une absence de sens sinon de style, pour employer un terme aujourd'hui tabou. C'est comme en peinture. Lorsque l'on veut appliquer toutes les couleurs à la fois, sans respecter les impératifs de la perception visuelle, on aboutit alors à une absence de valeur chromatique se résumant à un rendu général grisâtre ou marron- brun , selon les peintres. Seurat en avait fait l'expérience, lui qui voulait reconstituer toutes les valeurs chromatiques en juxtaposant des touches de couleurs pures. Ses tableaux sont souvent à dominante grise, à l'inverse de l'effet escompté. Il en va de même en cuisine. Lorsque l'on mêle trop de saveurs dans un plat, on obtient un plat sans saveur.
Je ressens la même impression en écoutant des œuvres atonales, plus ou moins "libres" : quel que soit le compositeur, j'ai toujours l'impression d'entendre la même œuvre, les mêmes accords saturés de toute les notes à la fois, sans aucun repère structurel net - en dehors du rythme - qui pourrait conférer au tout une forme reconnaissable, par des rapports délimitant ou opposant ses éléments constitutifs. À vouloir tout déhiérarchiser, supprimer toute discrimination formelle, on a abouti à un corpus pléthorique de musiques grisâtres, invariablement identiques et ennuyeuses, pour parler en auditeur sincère, avide d'émotions, au moins de sens esthétique.
Enfin, je reconnais que les positions défendues par les uns et les autres sont légitimes, dans le cadre d'une création artistique ouverte aux propositions les plus variées, comme nous nous efforçons de le faire ici, dans ce Forum Musical. Mais, il faut également reconnaître que les compositeurs qui s'érigent en porte-parole ne sont pas les plus convaincants dans leur segment créatif respectif. Dusapin est loin d'être le compositeur néo-atonal le plus talentueux et Ducros, est réellement un néo-tonal affligeant d'indigence, à tout point de vue. Comme la musique de Jean-François Zygel, sa musique est encombrée de références qui la réduisent à un piètre exercice de citations empruntées aux grands compositeurs. L'érudition musicale est un obstacle à la création lorsqu'elle s'avère incapable de se dépasser. Zygel et Ducros n'en finissent pas de ressasser leur cours de conservatoire d'où ils semblent n'avoir jamais trouvé la porte de sortie.

Amitiés,

Yves
Oeuvres en écoute directe sur www.rinaldi-musica.fr
Dernière édition: il y a 10 ans, 4 mois par rinaldi.

Re: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses il y a 10 ans, 5 mois #1921

  • bricas
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Pour essayer de s’y retrouver dans ce sujet, il n’est peut-être pas inutile de définir les termes employés et d’avoir un consensus sur ces définitions. Ainsi, lorsqu’on parle de « musiques atonales », le plus simple n’est-il pas de dire qu’il s’agit de musiques qui ne s’organisent pas à l’aide du système tonal ? Cela ne signifie en aucune façon que de facto elles ne sont pas organisées. Les modes d’organisation peuvent être extrêmement divers, mais on peut sans doute classer à part les mouvances dodécaphoniques, sérielles, stochastiques … qui ont clairement comme but proclamé d’annihiler les hiérarchies tonales par des systèmes cohérents et pour conséquence, sauf erreur, d’annihiler également les hiérarchies modales. C’est ce que j’entendais par « atonalisme organisé en systèmes » en l’opposant à l’ « atonalisme libre » : cette façon de m’exprimer pouvait prêter à confusion en ce qui concerne la présence d’une organisation musicale.

Par conséquent, ce qui, à mon sens, a été à l’origine d’œuvres « grises », « ennuyeuses », de « peu de sens » ou de « non-sens » , selon les termes employés dans ce fil, c’est la fausse bonne idée, effectivement , de l’abolition de toute hiérarchie et l’organisation de cette abolition, aboutissant à ce j’ai appelé précédemment « l’indifférenciation ». Et l’indifférenciation à pour résultat l’indifférence chez l’auditeur, avant le rejet pur et simple. Dans certains cas, il s’agit d’œuvres savamment combinées dont l’analyse a pu faire les délices de certains intellectuels, à la façon d’œuvres mathématiques, scientifiques, ludiques. Mais, comme en toute chose, cette expérience a des côtés positifs : l’esprit est ainsi fait qu’il peut être séduit par des techniques de proliférations sonores, de mélanges de timbres, d’effets de masses, qui se sont développés au sein de ces systèmes, qui ne sont pas l’apanage de la musique dite savante, mais trouvent également leur place dans l’électroacoustique ou dans les bruits de la nature. Ces techniques peuvent trouver leur place dans « l’atonalisme libre ».
.
Lorsque j’ai mentionné « l’atonalité libre », il s’agissait donc essentiellement de l’abandon du système tonal comme organisateur unique de l’idée musicale. Des débats passés ont montré la difficulté de définir la spécificité de l’idée musicale, mais celle–ci doit avoir une organisation, un contenu, défiant parfois l’analyse, qui la rende communicable. Le constat de « l’absence de style », de « grisaille », d’ « ennui », de « l’absence de sens » peut en général aussi s’analyser comme absence d’idée musicale.

Re: L'Atonalisme en questions : les notes fâcheuses il y a 10 ans, 4 mois #1932

  • nicolasmarty
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Bonjour à tous,

Ca fait longtemps que je ne me suis pas manifesté ici, par manque de temps et du fait d'expériences passées de débats infinis.
Mais en voyant ça ce matin, ça a forcément résonné chez moi, puisque comme vous pouvez vous en douter j'ai vu passer cette conférence, ainsi que le débat Karol Beffa - Philippe Manoury du week-end dernier, et ça a fait beaucoup de bruit dans mon milieu. Les guerres idéologiques ne sont pas finies...

Je compte répondre à ces débats en écrivant un petit "manifeste", mais d'ici là... :

Le mot "atonalisme" fait mal aux oreilles. D'abord parce qu'il désigne, justement, une idéologie qui n'existe plus (c'étaient le début des années 50 avec la tabula rasa, mais depuis, tout le monde a compris qu'une tabula rasa ne servait pas à grand chose, Boulez le premier). Mais aussi parce qu'il présente tout un ensemble de styles très différents comme posé sous un même terme, "atonal", que bricas a développé un peu (mais je ne vois pas du tout : quel compositeur placez-vous dans l' "atonal libre" ?). Appeler de la musique spectrale "atonale", c'est comme appeler de la musique tonale "aspectrale", ça concentre les gens sur le caractère négatif.

Mais ce qui fait mal, surtout (et c'est là qu'effectivement, c'est mieux de regarder cette vidéo comme un sketch - ce qui est peut-être triste de la part du Collège de France ?), c'est de voir la mauvaise foi complète de Ducros. Bien évidemment, si on change les notes dans certains Schoenberg, on obtient la même chose, et ni les auditeurs ni les experts qui connaissent la pièce ne le remarquent. Ce que ça montre, ça n'est pas que la musique de Schoenberg est ridicule et ne vaut rien, comme Ducros le souhaiterais, c'est plutôt que les hauteurs exactes ne sont pas pertinentes à cette musique. C'est le profil mélodico-rythmique qui est important.

Et de la même manière, la déception de l'attente de l'auditeur n'est pas l'objet de la plupart des musiques dites contemporaines. Mais au lieu de montrer ce qui est en l'objet (le profil spectral, la matière, les champs harmoniques, rythmiques, la demande d'une écoute active et différente), Ducros se contente de montrer que n'importe quoi peut venir, ce qui perpétue l'écoute tonale des auditeurs et l'idée que la musique contemporaine ne va nulle part.

L'indifférenciation du sérialisme intégral (qu'il est seul à mettre en oeuvre), peut effectivement rebuter, et n'aurait pas pu durer plus que ses quelques années sans être complètement ridicule. Mais il n'empêche que j'adore encore écouter les premiers Klavierstücke de Stockhausen, pas pour remarquer à quel point la construction est intelligente (la partition est affreuse, la conception est intéressante mais n'a rien à voir avec, et ne peut être atteinte par, l'expérience humaine - et il en faut pour que je dise ça), mais parce que l'expérience en est très particulière selon certaines écoutes (notamment l'écoute immédiate, sans chercher à prévoir ou à retenir, cette écoute qui fait qu'on peut vraiment sentir le déséquilibre dans ces pièces. Donc même si le système est très détaché de toute polarité, l'auditeur a ses propres polarités qu'il peut y mettre, il lui faut juste la bonne volonté (et le courage, parfois) de s'y atteler.

Enfin, mon dernier point, Ducros parle de l'absence d'évolution de la musique "atonale" depuis un siècle en choisissant très précautionneusement ses extraits et leurs durées, mais ce n'est pas très dur d'entendre, en prenant une pièce de chaque courant esthétique depuis Schoenberg, l'évolution énorme entre les années 1920 et les années 1980 (ensuite, à mon avis, ça se corse un peu, parce que les "écoles" disparaissent et on est aujourd'hui, généralement, complètement libres en conservatoire de composer ce qu'on veut, tant qu'on sait pourquoi on l'utilise - notamment si c'est tonal ou si ça utilise des clichés de forme ou de gestes instrumentaux, vu l'aspect extrêmement marqué de ces pratiques pour l'auditeur). Pour n'opposer que les plus connus et omettre les néo/para/pan/protonaux, écoutez :

  • Schoenberg, expressionniste (les profils mélodico-rythmique)
  • Messiaen (le rythme très marqué, mais aussi les oiseaux, bien sûr),
  • Stockhausen (des choses très différente tout au long de sa vie, difficile de lui garder une unité mais on voit très bien la différence entre des pièces comme les Klavierstücke et Mantra, par exemple),
  • Cage (on ne perçoit pas l'aléatoire, puisque ça sonne comme du sérialisme intégral, mais pour ne prendre que la plus connue, 4'33", c'est le conceptuel qui caractérise Cage, et lui seul : il faut savoir qu'il donne le contenant, les 4'33", et que le contenu est complètement hors de sa création, puisqu'il refuse le caractère de compositeur, dans une revendication bouddhiste),
  • Reich (jamais il n'y avait eu d'exploration aussi systématique des phases, qui s'entendent extrêmement bien, avant lui, à ma connaissance),
  • Grisey (la musique spectrale, très lente, contemplative, avec une évolution presque imperceptible et un son très fusionné, souvent : écoutez Jour Contre Jour, c'est absolument magnifique, un vrai paysage sonore),
  • Xenakis (particulier puisque les notes écrites n'ont rien à voir avec le rendu : pour ne parler que du rendu, ce sont beaucoup de jeux de glissandi et de comportements de masse qui créent des "nuages" et autres grappes de sons, de manière nettement plus clair que chez les sériels, et nettement plus polymorphe que chez les spectraux),

et pour les musiques électroacoustiques (l'appartenance à la musique se discute, mais les modes d'organisation sont les mêmes que dans certaines musiques instrumentales, donc on ne peut pas complètement lui refuser le statut) :
  • Schaeffer (les études de bruit... bon d'accord, ça sonne comme des casseroles, des trains, etc. mais ça existe, et ça a son intérêt),
  • Bayle (les images-de-sons : tout son intérêt est dans l'oreille, et l'aspect quasi-visuel de l'écoute : il agence, ce que fait depuis toute l' "école" acousmatique, des sons dans un monde imaginaire créé par les haut-parleurs ; souvent avec très peu de grave, souvent de manière très circulaire et répétitive),
  • Smalley (particulier, puisqu'il est allé de choses tout à fait abstraites à des choses très proches du paysage sonore - enregistrer ce qu'entendent des jarres enterrées dans son jardin quand il pleut et monter ça),
  • Wishart (vous entendez de la voix, beaucoup de voix, avec des onomatopées étonnantes, presque marrantes, d'abord ? c'est lui. maintenant vous pouvez passer à l'écoute de ce que l'ensemble crée, en oubliant le côté rigolo des onomatopées),

et il y en a d'autres qu'on peut aussi distinguer à l'oreille !
Le XXe siècle a offert un nombre de possibilités énormes. Aujourd'hui on doit choisir à l'intérieur de toutes ces possibilités, et il ne s'agit pas de dire "tonal" ou "atonal", mais de placer "tonal" au même rang que les autres techniques de composition et que les autres techniques d'écoute. C'est peut-être là un problème ? (ne plus avoir d'écoles de composition, que les compositeurs théorisent moins ouvertement leurs techniques de composition) J'ai envie de dire : on verra.
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