Electro-acoustique et musique classique
Ma seule expérience de réalisation électro-acoustique remonte à une trentaine d’années, lors d’un stage suivi à Dieppe en compagnie des « Percussionnistes de Strasbourg » et par la suite, je n’ai pas suivi cette voie. C’est dire que je ne me pose pas en spécialiste et que je ne fais rien d’autre ici que d’exprimer un avis et des souhaits, sans « pontifier » en aucune façon. J’avais été séduit par certaines réalisations à l’époque de Jean Claude Eloy, Parmeggiani, Bayle, Stockhausen et autres qui avaient donné une orientation ou exotique, ou onirique ou même métaphysique à leurs compositions. Je voyais de grandes possibilités de développement, ouvrant un champ nouveau à la musique classique et de ce point de vue, après toutes ces années, je suis plutôt resté sur ma faim.
Il est sans doute inutile de reprendre ici un débat sur la nature de la musique, pour positionner l’électro-acoustique comme art musical. Il s’agit d’un domaine allant de la création et de l’organisation de sons et bruits de façon à toucher notre sensibilité, mais pas forcément assimilable à de la musique, jusqu’à la possibilité d’un art musical nouveau se rattachant néanmoins à l’art musical du passé si l’on veut bien admettre que les phénomènes culturels sont en général d’évolution lente et ne naissent pas « ex nihilo ». C’est dans cette perspective qu’il me semble intéressant de définir quels peuvent être les apports de l’électro-acoustique et son développement dans le secteur de la musique classique.
1.le son : au fil du temps, certains sons ont été privilégiés comme sons musicaux. Il est frappant de constater que de ce point de vue la musique « savante » occidentale n’a connu que peu d’innovation, l’évolution concernant d’avantage le perfectionnement des instruments que l’utilisation d’instruments vraiment nouveaux, produisant des sons nouveaux (ex : clarinette –piano…). Bien des instruments ont été abandonnés. Bien des instruments courants dans la variété n’ont pas (ou pas encore), ou peu, trouvé leur place dans l’orchestre « classique ». Ces sons « traditionnels », nous les utilisons aussi dans des banques de sons.
Or l’électro-acoustique est en mesure d’utiliser les sons traditionnels de façon inhabituelle, de les « dénaturer », et de créer des sons musicaux nouveaux, acceptables en musique savante. Pour illustrer mon propos, je pense au son de percussion que j’ai utilisé dans le début de ma pièce « Thanatos », faussement désigné comme son de cymbale, alors qu’il s’agit d’un son synthétique. Ce son peut parfaitement trouver sa place sans choquer. La difficulté est bien entendu de définir les sons musicaux synthétiques acceptables en musique classique, en fonction de notre sensibilité actuelle, fruit de tout un passé, sensibilité dont il faut bien tenir compte si l’on veut rester réalistes. D’autres que moi diront si l’on a effectivement créé des banques de sons musicaux d’origine synthétique, spécifiquement conçus pour la musique « savante ». Personnellement , je ne connais que celles de certains fabricants de synthés ou éditeurs de banques de sons et déjà là, il y a un certain choix. Il me semble qu'on pourrait mieux explorer des sons synthétiques plus ou moins proches des sonorités des instruments courants, à l’image de la cymbale mentionnée ci-dessus, mais rien n’empêche d’en chercher d’autres, quitte à les soumettre goût des compositeurs et des musiciens en général.
2.Mise en œuvre des sons : c’est dans ce domaine qu’à mon avis se pose le véritable problème. Le matériau (le son) est à disposition, même si l’on peut enrichir la palette, et les instruments sont là pour les modifier et les organiser. Ce qui me parait manquer le plus, c’est une certaine disposition d’esprit des compositeurs face la richesse du domaine qui s’ouvre à eux. Si l’on écoute régulièrement les productions électro-acoustiques, ce qui frappe c’est la persistance de motifs sommaires déroulés indéfiniment, « électroniquement », sur lesquels on greffe des artefacts sonores de toutes natures, mais qui se veulent en général impressionnants. Les formules sont le plus souvent répétitives et incantatoires, dégageant une atmosphère pessimiste voire sinistre. J’y trouve une certaine « facilité » demandant peu d’inventivité. On a l’impression que trop souvent les compositeurs ayant trouvé une combinaison qui leur plait, profitent de la machine pour la faire entendre à satiété, dans une disposition de derviche tourneur. Pourquoi ne pas construire les œuvres dans une véritable disposition d’esprit d’orchestrateur, en utilisant la richesse des palettes et la grande liberté qu’offre l’indépendance par rapport aux contraintes instrumentales habituelles ? Pourquoi ne pas réaliser des œuvres fines, scintillantes, entrainantes, aux maillages subtiles (Ligeti à la puissance « n » !), alors qu’on bénéficient d’une telle absence de contraintes ? Je ne comprends pas !
Je ne sais pas si j’ai réussi à faire comprendre pour quelles raisons je fais des réserves toutes personnelles sur l’électro-acoustique telle qu’elle est pratiquée couramment à l’heure actuelle, car ce n’est pas très facile de donner les raisons du malaise que j’éprouve.