Pas de déception pour ce qui me concerne
Je crois que ce que d'aucuns attendent en matière d'inattendu ne se passe pas au niveau de la "jouabilité", mais à celui de la vraisemblance (toujours cette sacrée lorgnette discriminante !)
Envisagée de cette manière, toute musique dont les éléments sont discrets au sens statistique (composées d'empilement de cellules repérables, elles mêmes décomposables en notes identifiables) n'est pas inattendue : elle ressemble forcément quelque part à un univers sonore déjà expérimenté
Par contre, le brouhara d'une rue aux heures de pointe, ou la clameur d'une foule dans un stade sont irréductibles à une notation discontinue, et je suppose que c'est dans cet ordre du réel que va se nicher une certaine ambition du musicien de son, par opposition avec celle du musicien de notes
Je comparerais volontiers la musique "classique" à une mathématique des sons (au sens pythagoricien du mot), par laquelle une sorte d'harmonie à vocation universaliste s'établit entre des entiers naturels et des gammes de sons, en tant que manifestations perceptibles d'un ordre suprême de la création
Par opposition, une musique non tonale, ou plus généralement, sans phrasé, et sans discours, c'est plutôt le chaos juste avant l'instauration de la structure : l'image qui vient à l'esprit est celle des vagues de la mer où les mouvements parfaitement aléatoires des molécules génèrent des amas locaux qui s'organisent sans que l'on puisse y retrouver de règles prédictives au niveau de l'élément, mais dont on peut néanmoins et très paradoxalement mesurer et prédire la période par des calculs de probabilités portant sur un très grand nombre d'observations
Cette musique dite "concrète" (en réalité totalement abstraite) revenue à ses origines n'a pas non plus nécessairement de syntaxe, puisqu'elle n'est pas structurante d'un discours rhétorique, n'est pas non plus porteuse d'une signification délimitée, mais elle diffère du bruit par sa capacité à transmettre de l'énergie dans une direction cohérente
Restrictivement, cher François, on pourrait dire de votre pièce qu'elle est transcriptible, pour avoir été engendrée par l'écriture - la faisabilité est un débat externe à la qualification de cette musique, puisqu'il suffirait d'en ralentir suffisamment le tempo pour pouvoir en isoler valablement tous les composants : encore une fois dit, on est ici dans un assemblage d'éléments discrets (discontinus, à, l'opposé d'une structure probabiliste impossible à réduire à une quantification précise à un moment donné, ni à extrapoler au plan général à partir d'une observation isolée)
De même votre pièce a un début, un pseudo-développement, et va vers une conclusion, toutes caractéristiques totalement étrangères au murmure des vagues ou au brouhara d'une foule, pour rester sur mes deux exemples
Pour reprendre mon image, vous pouvez ralentir autant que vous voulez l'enregistrement d'une foule, jamais vous n'intercepterez le cri isolé d'un individu, et la seule chose que vous n'entendrez jamais dans la vague qui déferle, c'est le son isolé d'une seule goutte d'eau...
Conclusion : l'inoui et l'imprévisible ne nous sont pas naturellement accessibles