Cette pièce présente une force d'écoute prenante sinon prégnante. Elle prend le parti d'une écriture par nappes de longues notes tenues dont les hauteurs et les densités sont créatrices de tensions. Le rapport spatial entre les différents pupitres y est essentiel : tantôt les notes en son pédale sont au premier plan, tantôt elles cèdent la place à des notes suraigües, parfois proches de crissements. Les nappes surgissent progressivement du pianissimo pour venir s'imposer, plus ou moins lentement, en fortissimo sur le devant de l'espace ; c'est le schéma le plus fréquemment utilisé ici.
Mais, parfois, elles surgissent directement en forte / fortissimo, venant déchirer l'espace, telles des éclairs dans un ciel sombre.
À cela , il faut ajouter les notes en pizzicati, dont le rythme irrégulier, associé à des hauteurs irrégulières, évoquent des bulles (voir le titre ?) et, plus prosaïquement, rythment le tout. Sans ces interventions des pizzicati (à 3'), l'on aurait affaire à un ensemble de bandes sonores parfaitement horizontales.
L'auteur évite la monotonie en jouant de tous ces paramètres, en nuançant les "ingrédients" par "dosages" subtils, allers et retours des nappes, du fond vers le devant de l'espace qui se met à onduler, mais aussi par des effets d'archets (trémolos, pizzicati simples, pizzicati à la Bartók ou "col legno" [frappés avec le bois de l'archet], frottements d'archets" sul ponticello" [sur le chevalet], sons harmonique artificiels, etc). L'arsenal des effets connus semble s'y retrouver mais pas gratuitement, histoire de démontrer leur simple maîtrise par l'auteur ; il s'agit bien de leur donner un sens en leur conférant une pâte sonore réelle, un timbre spécifique, se mêlant ou s'opposant aux timbres obtenus par simple frottement des cordes, que l'attaque soit tirée ou poussée.
Le texte de présentation prévient d'une écriture fondée sur la matière sonore et non sur des principes traditionnels agençant harmonie et mélodie. On remarquera quand-même l'incursion de quelques accords tonaux entre 5' et 5'20. On retrouve également des traits de composition typiques (une reprise du cycle initial à 8') et le souci, ici très élaboré, de créer une ambiance sonore particulièrement forte. L'atmosphère est certes tendue mais pas anxiogène comme pour "Judith". On se retrouve vite happé par ce tableau, presque visuel, qui fait défiler et fluctuer sous nos yeux / oreilles des couleurs sonores intrigantes.
C'est indéniablement une grande réussite dans le genre.
Amitiés,
Yves