Un genre de question du même ordre, et qui revient souvent : l'harmonie est-elle une "forme", c'est à dire une propriété de l'entendement, ou bien une réalité sonore, c'est à dire une propriété de l'objet ?
Ce qui tend à compliquer le débat sur cette interrogation est que nous baignons dans un environnement "cultivé" dont il est difficile de démêler l'influence sur notre manière de comprendre ce que nous entendons, autrement dit, qu'il est tentant de penser que notre perception est le fruit d'une sorte d'éducation sensorielle par le milieu
On connaît tous cette fameuse photo d'un amérindien d'Amazonie qui entre en une sorte d'extase, les yeux fermés, à sa première audition d'une musique de Mozart, ce qui semble plaider pour une sorte de structure "innée" du transport émotionnel induit par certaines combinaisons harmoniques, lesquelles seraient de ce fait revêtues d'une sorte d'universalité quasiment métaphysique (au delà de l'apparence), ce qui ferait de Mozart non pas la cristallisation de la musique occidentale, mais le découvreur d'un art premier d'agencement des sons : la distinction est d'importance
Elle a aussi l'avantage, cette conception "universaliste" de nier la notion de progrès en Art, de ramener le style à une péripétie accidentelle, et d'ouvrir une "Voie royale" (au sens où l'entendait l'auteur des "Voix du silence") à une "sensibilité collective" appuyée sur un imaginaire transcendental
Elle a aussi l'avantage conceptuel de ne pas réduire la musique à une mathématique élaborée de la production sonore, plus ou moins bien retranscrite par telle ou telle culture au hasard de l'Histoire
Il est certain que les propriétés interférentielles des harmoniques d'un son fondamental ont largement modelé la forme du limaçon de notre oreille interne, et que son fonctionnement s'est "naturellement" orienté vers la discrimination spatiale des dites harmoniques, en tant qu'avantage évolutif substantiel dans la lutte pour la survie de l'espèce, sans quoi, le tympan, cette simple membrane de tambour aurait bien pu faire l'affaire, selon le principe d'économie bien connu systématiquement appliqué par l'Evolution. Mais pour échapper au prédateur, encore fallut-il pouvoir repérer son approche spatiale, en mesurer la distance, il a donc fallu traiter des interférences pour analyser le relief, et c'est là que les propriétés ondulatoires du son ont fini par conduire la matière vivante à sélectionner la formation en limaçon, structure alors déjà connue de l'Evolution, pour en faire un détecteur différentiel de vibrations, par le jeu de la sélection naturelle sur d'immenses périodes
Cela ne revient pas pour autant à admettre que la propriété des sons musicaux réside dans la gestion de ces harmoniques, ni que certaines combinaisons soit génératrices d'émotions diverses, et d'autres non, ni que ces effets soient d'ordre déterministe
Pour moi, on ne peut pas rationnellement soutenir, par exemple, que la gamme pythagoricienne soit la structure par excellence à laquelle serait dédiée notre oreille par "construction", ni que les échelles de sons correspondantes produisent en toute époque et en tous lieux un effet identique, renouvelable à volonté, et quantifiable
Inversement, on ne peut pas non plus en faire une preuve administrable de l'existence d'une harmonie suprême en tant qu'ordre du monde dont la musique serait la variété à l'usage de l'humanité dans son ensemble au même titre que les mathématiques...