Très belle pièce que voilà, avec son thème central syncopé et à l'ambiance faussement nonchalante, dont les subtiles variantes en renouvellent constamment la physionomie. Les deux instruments y dialoguent réellement, sans que l'un ne serve de simple faire-valoir à l'autre, ce qui est plutôt rare et difficile à concevoir : ce serait presque une pièce à trois voix tant les deux mains du piano jouent, elles-aussi, un rôle différent.
Pour les passages rapides, enchaînant des traits ascendants et descendants de doubles croches, la virtuosité fait une entrée tonitruante qui compense le rythme lent du thème central (lequel clôt la pièce sur un accord logique et définitif). Les silences créent des heurts rythmiques qui sculptent autant la mélodie que les notes elles-mêmes, sans compter les ritenuti, dilatant la fin de certaines phrases, afin de créer une tension transitoire entre deux passages contrastés. Les passages rapides prennent une forme quasi-mécanique qui nécessitera une mise en place précise de la part des interprètes, pour ne pas lui ôter son effet "motoriste".
L'écriture et la composition du morceau s'avèrent diablement sophistiquées, tant dans la mise en place des cellules rythmiques que dans la précision des articulations (aux deux instruments d'ailleurs). Elles ne nuisent cependant pas à son lyrisme contenu ; bien au contraire, elles le valorisent en en rendant l'expression plus suggestive, car intériorisée.
À la complexité des schémas rythmiques, répond pourtant une clarté de l'écriture qui frappe l'esprit, dès la première lecture de la partition. Cet équilibre réussi est le signe d'une réussite formelle qu'il faut saluer. Aucune note ne semble inutile, aucun élément surfait : l'évidence du propos s'impose, tant à l'écoute qu'à la lecture. Enfin, la musicalité n'est pas mise à l'écart mais ressort gagnante de cette alchimie savante.
On voit bien comment la musique de chambre met à nu le talent - ou pas - d'un compositeur : une épreuve de vérité sans concession qui, devant le résultat ici obtenu, force l'admiration.
Bravo !
Amitiés,
Y.R