Bonjour Sorges,
Comme toujours chez vous, chaque nouvelle oeuvre possède une identité bien marquée qui la démarque de celles qui la précèdent. Avec cette pièce, l'on ne peut qu'être admiratif de la grande justesse avec laquelle vous avez servi le propos choisi d'opposer un piano fortement rythmé sur lequel s'écoulent, sans épanchement toutefois, ce qui pourraient paraître de longs accords plaintifs aux cordes.
L'ambiance est, comme François Duhamel le remarque avec humour, un tantinet anxiogène et c'est, de ce point de vue, une pièce tendue qui occupe largement l'espace sonore sans l'encombrer. Vous procédez par touches mesurées et les variations ne sont jamais redondantes mais permettent au discours d'évoluer.
Les nuances sont très expressives car elles établissent des rapports de distance plus ou moins rapprochée entre les instruments, avec cependant une tendance à placer le piano plus en avant des cordes.
Entre tonalité et musique spectrale, cette pièce trouve sa juste place, comme une construction avant tout sonore, réalisée avec un esprit de sobriété qui confine souvent à l'austérité mais jamais à l'indigence : un juste milieu qui, justement, crée cette tension permanente caractéristique de cette oeuvre. En tant qu'auditeurs, on se sent enveloppés dans un univers musical conceptuel quasiment dépourvu d'images, aux antipodes d'une musique à programme : de la musique seulement, à l'état pur, c'est-à-dire parvenue à un niveau d'auto-suffisance sonore qui n'a nul besoin de littérature, de mot, de titre ou de références visuelles pour vivre.
Le motif récurrent du piano, faisant rebondir les touches de manière faussement hésitante, évoque parfois le thème principal de "La sérénade interrompue" du Livre I des "Préludes" pour piano de Debussy.
Je pense que la pièce pouvait s'achever à 10'25 mais il est vrai que le dernier motif qui survient après un court silence, et qui s'étiole jusqu'à se dissoudre lentement, est, lui-aussi, remarquablement beau, dramatiquement beau car sans pathos.
Amitiés,
Y.R.