L'ostinato des accords "jazzy" au piano confère à l'ensemble une colonne vertébrale rythmique qui valorise davantage les passages plus "rubato" dans lesquels la ligne mélodique déploie ses motifs plus librement, quoique ces motifs soient eux-mêmes construits sur une structure rythmique répétée, avec moult variations. On sent un affranchissement encore plus grand des règles d'écriture du genre, par rapport aux deux précédents mouvements, plus "classiques", si le terme convient pour une approche générale polytonale / atonale.
Malgré une première impression de rudesse, ou de sêcheresse, on se laisse vite embarquer dans la sinuosité de l'écriture qui, en fin de compte, prend une allure plus dansante qu'il n'y paraît de prime abord ; et le titre de "Ronde" se voit ainsi confirmé par l'écoute. Une certaine nonchalance mélodique, un caractère faussement négligé - presque "improvisé - se dégagent de cette balade printanière au milieu des bois, entre de gros chênes massifs (les accords à la noire du piano) et un petit vent frais qui virevolte autour des troncs centenaires (les traits à la double et triple croche, joués alternativement ou conjointement par les trois instruments).
Je n'avais pas bien perçu le rapport entre le titre et l'oeuvre, lors d'une première écoute, peut-être trop conditionné par une image éthérée et diaphane du printemps, telle que le répertoire l'a souvent exploitée.
Ici, il s'agit plutôt de faire sentir le contraste entre une matière ligneuse bien présente et d'autres éléments, plus fluides et plus éphémères. On est sur une approche de rapports et non d'analogies et c'est là-dessus que la pièce pourrait dérouter mais aussi séduire par son côté novateur, par une poétique qui se dissimule derrière une apparente sêcheresse : c'est un parti-pris assez ravélien, tout en utilisant des moyens musicaux différents de ceux de Ravel.
Même si le violoncelle paraît parfois jouer les seconds rôles, par rapport au violon, ce n'est pas vraiment gênant : c'est un parti-pris comme un autre et qui se défend, esthétiquement parlant car il permet d'étoffer le timbre du violon, lorsque les deux instruments jouent conjointement le même motif à des tonalités différentes et d'éviter une impression de son trop aigrelet, dans lequel le violon dominerait le reste, comme c'est souvent le cas dans les trios.
Tout comme certains auditeurs du Forum, j'ai toutefois été décontenancé par l'absence d'armure du piano et la profusion d'altérations qui en découle. En tant que pianiste, cela m'a gêné et m'empêcherait de déchiffrer à vue la partition. Il me semble que c'est un handicap visuel plus qu'un atout mais peut-être suis-je un peu trop enclin à ne pas enfreindre les sacro-saintes règles d'écriture....
Amitiés,
Y.R.