La blockchain sauvera-t-elle l’industrie musicale ?
https://blockchainfrance.net/2016/12/09/la-blockchain-sauvera-t-elle-lindustrie-musicale/
Source : BTCManager.com
De nombreuses perspectives s’ouvrent pour le secteur
« L’industrie musicale est un secteur qui a tendance à rater les innovations les unes après les autres ; la blockchain lui offre une occasion de se rattraper en la matière » : le constat, qu’on jugera cruel ou optimiste selon le point de vue, est posé par Cédric Claquin, co-fondateur de la coopérative 1D Lab destinée aux créateurs indépendants.
« Suppression d’intermédiaires ; meilleure traçabilité des œuvres ; transparence dans la gestion et la répartition des droits et des paiements ; clarification des apports de chacun dans le processus créatif… » les avantages de la blockchain pour l’industrie musicale, ici énumérés par Emily Gonneau, fondatrice du label Unicum Music et auteure de « L’Artiste, le Numérique et la Musique » (2016), sont nombreux.
Pour faire le point sur le sujet, nous avons dressé un panorama des 5 grandes façons dont la blockchain pourrait transformer ce secteur :
1) En tant que base de données sécurisée et transparente pour les droits d’auteurs
Un titre musical contient traditionnellement au moins deux copyrights : l’un pour le son, l’autre pour le texte et la composition du titre en général. La preuve d’existence et d’appartenance de ces deux copyrights pourrait être stockée sur la blockchain, via un hash cryptographique, permettant d’enregistrer de façon incorruptible la propriété de chaque titre et les copyrights correspondants. Outre leur caractère incorruptible, ces informations pourraient être accessibles publiquement à tous les utilisateurs (ou du moins, toutes les parties prenantes concernées) plutôt que d’être stockées sur de discrètes bases de données.
En outre, les métadonnées contenues dans chaque morceau de musique pourraient inclure des termes d’utilisation et des détails de contact pour les propriétaires des copyrights, facilitant la prise de contact avec les détenteurs d’un morceau et l’obtention d’une licence pour l’utiliser. Philippe Astor, journaliste spécialiste de l’impact des nouvelles technologies sur l’industrie musicale, raconte ainsi qu’il est arrivé que la plateforme Spotify, au moment de payer les ayants droits, se rende compte qu’elle ne connaissait pas toujours l’identité du propriétaire des droits ! « Il est nécessaire que se développe une base de données où seraient stockées toutes les informations de copyright auxquelles pourraient se référer les plateformes » estime-t-il (propos tenus lors de la conférence « La blockchain peut-elle sauver l’industrie du disque ? » au MaMa Festival 2016).
L’enregistrement des données de copyright sur la blockchain pourrait justement conduire à la création d’une base de données mondiale et complète des droits d’auteurs pour l’industrie musicale – les différentes tentatives de création de bases de données ayant jusqu’ici échoué (citons entre autre l’initiative Global Repertoire Database initiée par la Commission Européenne, à laquelle participaient des grands éditeurs comme EMI, des sociétés d’auteurs dont la Sacem en France, et des acteurs du web comme Apple).
« Les conglomérats ont mis 12 millions de dollars dans cette grande base de données centrale qui a échoué l’an dernier, raconte Philippe Astor. Dans le cas de la blockchain, il s’agirait d’une base distribuée, probablement plutôt privée, avec en amont des sociétés de gestion collective authentifiées, qui posteraient des informations sur les ayants droits des œuvres ». Dans ce cas, le registre pourrait être accessible à tous, mais la capacité à écrire dans le registre serait donc limitée à certains acteurs de l’industrie.
Plusieurs questions restent toutefois encore en suspens ; en particulier, le fait que l’existence du hash cryptographique n’empêcherait pas en lui-même la copie des titres. Or le retour du système des Digital Rights Management (DRM), introduit au milieu des années 2000, et qui s’était révélé un échec, n’est pas franchement souhaitable…Cela étant, pour Emily Gonneau, « la copie des titres n’est plus un problème aussi majeur qu’auparavant dans l’industrie musicale car le développement du streaming a fortement réduit l’attrait du téléchargement ».
En revanche, elle explique que « la traçabilité permise par la blockchain pourrait être utile pour savoir si quelqu’un a fait fuiter un titre avant sa date de diffusion officielle. Auparavant lors de l’envoi en radio d’un titre par le label en amont de la sortie, les CDs étaient ‘watermarkés’, cryptés avec le nom de chaque personne à qui on donnait son exemplaire ; en cas de ‘leak’ avant la date de sortie, on pouvait remonter à la source de la fuite. On pourrait envisager le recours à la blockchain pour des exemplaires promo d’une sortie majeure et sécuriser le processus de préparation dans l’ombre par exemple ».
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2) Pour automatiser et personnaliser la gestion des droits d’auteurs
Les paiements de droits d’auteurs, aussi bien pour l’enregistrement du son que pour la composition du morceau, sont souvent lents : ils peuvent prendre des mois voire des années pour atteindre le compte bancaire des détenteurs des droits. Ce mécanisme semble aujourd’hui archaïque à l’heure où l’on peut écouter un morceau en un clic. La blockchain pourrait remédier à ce problème en utilisant, pour les paiements, des smart contracts, ces programmes autonomes qui exécutent automatiquement des conditions définies à l’avance. Les smart contracts permettraient de verser les droits d’auteur (presque) instantanément aux ayants droits, en suivant des conditions définies au préalable. Plus précisément, « ce ne seraient pas tant les smart contracts qui permettraient de payer les artistes en temps réel mais l’utilisation de smart contracts en tandem parfait avec un système de paiement », estime Emily Gonneau, du label Unicum Music.
Qui-plus-est, un artiste pourrait décider lui-même de l’utilisation de sa musique en définissant au préalable, dans les conditions du smart contract, les licences qu’il accorde à ses œuvres : ainsi, il pourrait décider par exemple de faire payer les stations de radio pour la diffusion de sa musique mais pas les boites de nuit (ou inversement), ou encore d’établir un tarif moins important pour les particuliers, voire de ne pas faire payer les sites de streaming qui adoptent une approche éthique du partage des revenus. Le smart contract pourrait donc programmer des droits d’autorisations d’exploitation personnalisés, en fonction des choix de l’artiste.
Enfin, au lieu de passer par des intermédiaires, le revenu provenant d’un streaming ou d’un téléchargement pourrait être distribué automatiquement entre les différents propriétaires d’un titre, en suivant des répartitions prédéfinies. On pourrait ainsi imaginer que 5% des revenus d’un titre de jazz reviennent instantanément à tel musicien, 5 autre % à tel autre musicien, etc. Attention cela étant, prévient Emily Gonneau : « l’exploitation d’une œuvre peut se décliner de plusieurs manières : grosso modo la composition elle-même, l’enregistrement, mais aussi son interprétation (chanteurs, musiciens) en concert. C’est important car chaque type d’exploitation génère des types de revenus différents : droits d’auteurs pour auteurs/compositeurs et éditeurs ; chiffres d’affaires et droits voisins pour les producteurs ; royalties d’artistes signés en maison de disque pour les enregistrements ; cachets d’intermittent des interprètes (musiciens, chanteurs) lors des concerts ». Il faudrait donc définir en amont précisément pour chaque œuvre qui bénéficie de quelle part ensuite.
Par ailleurs, les faibles coûts de transaction des cryptomonnaies rendent possible les micropaiements. Ceux-ci peuvent s’avérer particulièrement intéressants au vu des faibles montants de transaction dans le domaine du streaming. Certains, comme Don et Alex Tapscott dans leur ouvrage Blockchain Revolution (2016), vont même jusqu’à parler de « micro-dosage » qui permettrait de payer le contenu en streaming en fonction des secondes regardées, c’est-à-dire payer des millièmes de centimes pour des millisecondes de vidéo. Mais cette idée reste surtout une façon d’illustrer les possibilités de la technologie, plutôt qu’une perspective probable.
3) Pour mieux connaître le public d’un artiste et s’adapter en conséquence
Les données récoltées permettraient de mieux connaître le public de l’artiste, afin d’améliorer la mise en valeur de sa musique en fonction de son public, ce qui manque aujourd’hui : « pendant vingt ans, on m’a proposé le même plan marketing, à savoir essayer de passer en radio, mais je ne passe pas en radio ! » explique ainsi Imogen Heap, chanteuse anglaise qui a décidé de mettre en vente un de ses derniers titres sur une plateforme blockchain. « Si un DJ en Italie passe mes morceaux, j’ai envie de faire quelque chose pour lui. Si un artiste est intéressé par la mode, la cuisine ou, comme moi, la technologie, la blockchain peut l’aider à mieux se connecter à ces univers. »
Copie d’écran de la plateforme Ujomusic où la chanteuse Imogen Heap vend son titre
4) En apportant de la transparence dans une chaîne de valeur aujourd’hui opaque
Dans un rapport paru en 2015 intitulé « Rethink Music », le Berklee Institute of Creative Entrepreneurship écrit qu’« il arrive souvent que des montants soient payés au mauvais destinataire », et que « des parties importantes du revenu des droits d’auteurs finissent en dehors de la poche des artistes, dans une sorte de boite noire » où les véritables propriétaires ne peuvent pas être identifiés.
En outre, les détails spécifiques de certains deals étant parfois cachés derrière des accords de non-divulgation, les artistes et leurs managers ont du mal à savoir qui des labels, éditeurs ou organismes de gestion collective traitent les paiements.
La blockchain pourrait donc apporter de la transparence à cette chaîne de valeur particulièrement opaque, dans la gestion et la répartition des droits et des paiements.
Ceci est d’autant plus crucial que « le manque de transparence dans les flux financiers des nouveaux usages (streaming, téléchargements…) » est élevé, estime Philippe Astor, spécialiste de l’impact des nouvelles technologies dans l’industrie de la musique : « certains artistes ont l’impression de ne presque rien gagner avec ces usages online alors que le streaming par exemple est devenu la première source de revenu de l’industrie musicale aux Etats-Unis. Si on imagine que tout cet écosystème bascule sur un environnement de blockchain, on pourrait identifier tous les flux financiers de façon transparente. »
Source montage http://www.the-blockchain.com
5) Pour transformer la gestion et le rôle des billets de concerts
Philippe Astor imagine une émission de billets électroniques dont les droits de revente seraient reliés à des smart contracts. « Un smart contract pourrait déterminer le prix facial du billet et ses conditions de revente : par exemple, le droit de revendre le billet d’occasion mais uniquement au prix facial, ou à maximum 20% de plus que le prix facial mais avec une partie qui revient à la salle ou à l’artiste. Le smart contract pourrait aussi fixer une interdiction de revendre le billet sur un site non-approuvé au préalable. Dès lors, on pourrait avoir un marché secondaire où les règles sont fixées dès l’émission du billet. »
Il imagine également des conditions d’accès VIP inscrit dans un billet électronique « premium » : « par exemple la possibilité de mixer soi-même le son du concert dans des endroits VIP dédiés. Ou encore, lier au billet un droit d’accès permanent à une captation faite du concert : autrement dit, avoir accès après le concert à son enregistrement audio et/ou vidéo. C’est ce billet dont je suis le propriétaire (authentifié par la blockchain) qui donnerait l’accès à la captation. »
Pour creuser toutes ces possibilités, un seul mot d’ordre, selon lui : « expérimenter » !
Pour télécharger cette étude au format PDF: http://blockchainpartner.fr/industrie-musicale-et-blockchain-notre-etude
Focus : la blockchain supprimera-t-elle les intermédiaires dans l’industrie musicale ?
Point de vue n°1 : « Attendons-nous à une reconfiguration des intermédiaires » pour la Middlesex University, dans son rapport « Blockchain for Creative Industries » :
« Le plus probable est que les intermédiaires apportant de la valeur continuent d’exercer leur rôle, même s’il est possible que la répartition des revenus se fasse plus en faveur des artistes et des auteurs. S’agissant des éditeurs de musique, par exemple, même s’il arrive que leur fonction administrative soit à terme remplacée par la blockchain, ils devraient conserver leur rôle dans la négociation des paiements. Cela étant, avec les paiements instantanés de droit d’auteur, dont les montants seraient prédéfinis, les tierces parties pourraient toujours prendre une part mais occuperaient une position différente dans la chaîne de valeur ».
Point de vue n°2 : « Ne caricaturons pas le rôle des intermédiaires ! » pour Emily Gonneau, spécialiste du secteur :
« Attention à ne pas réduire les partenaires du développement de la carrière et des œuvres de l’artiste à de simples intermédiaires administratifs ou financiers. C’est un glissement de perceptions assez répandu, hérité des débats sur les majors et l’incapacité de l’industrie musicale à opérer la transition du numérique sans pertes et fracas. Pourtant, les pourcentages qui leur sont traditionnellement dévolus sont le reflet du travail de développement, et non simplement destinés à couvrir des marges. Si l’on prend l’exemple de l’éditeur, sa seule obligation envers l’auteur/compositeur est spécifiquement « d’assurer une exploitation permanente et suivie de l’œuvre » : c’est un travail artistique avant tout. Il ne faut pas l’invisibiliser : ce n’est pas la blockchain qui le révolutionnera ! Et ce d’autant plus que l’industrie musicale doit déjà arriver à s’entendre sur un certain nombre de problèmes pré-existants (compétition d’intérêts à ce stade plus forte que la nécessité de voir converger les différents acteurs). »
Zoom sur 3 principaux projets :
- Ujo Music est une start-up utilisant la blockchain pour « créer une base de données transparente et décentralisée des droits d’auteurs, et automatiser les paiements grâce aux smart contracts». UjoMusic a notamment collaboré avec la chanteuse Imogen Heap pour sortir son titre « Tiny Humain » sur la blockchain Ethereum, en octobre 2015. Les utilisateurs étaient invités à créer un portefeuille blockchain sur ujomusic.com et à envoyer de l’ether [la devise d’Ethereum] à celui-ci. Une fois l’argent reçu sur le portefeuille, l’utilisateur devait envoyer l’argent à un smart contract, qui lui accordait une licence et lui remettait le fichier MP3, tandis que le paiement se faisait simultanément et directement à la chanteuse et aux autres membres de son équipe.
- Dot Blockchain Music: collectif qui développe en opensource « un nouveau format de fichiers, .bc, reliés à une base de données mondiale distribuée de droits d’auteurs musicaux. Au lieu de transférer des fichiers musicaux en tant que mp3 avec des métadonnées et une image, le format .bc inclura tous les fichiers médias, métadonnées étendues, et les contrats digitaux qui stipulent leurs usages. Le format .bc fonctionnera comme un wrapper [sorte d’enveloppe contenant tous les éléments d’un fichier : audio, vidéo, métadonnées…], similaire à un fichier zip ». Le but est de « créer une façon juste et transparente pour les créateurs de faire exprimer leurs droits. »
- MUSE est un réseau pair-à-pair spécialement conçu pour l’industrie musicale. Cette organisation vise à « constituer la fondation d’un nouvel écosystème pour le secteur, en servant à la fois de base de données mondiale pour les copyrights, de moyen de paiement pour toutes les transactions liées à l’univers musical, et d’outil pour simplifier les licences de travaux musicaux. Les fans peuvent interagir, participer et même bénéficier du succès de leurs artistes préférés. »
La plateforme PeerTracks, qui permet aux artistes de recevoir directement les revenus générés par leurs œuvres, a ainsi choisi d’utiliser le réseau MUSE pour son service blockchain.
Et aussi : Resonate (lire aussi ici) ; Alexandria.
Le projet MUSE
Sources :
-Entretien avec Emily Gonneau, fondatrice du label Unicum Music, co-fondatrice de l’agence Nuagency, enseignante à la Sorbonne, et auteure de L’Artiste, le Numérique et la Musique’ (2016).
-Propos de Philippe Astor et Cédric Claquin tenus lors de la conférence « La blockchain peut-elle sauver l’industrie du disque ? » au MaMa Festival 2016
–Dossier « Blockchain : The operating system for music »
–Rapport « Blockchain for Creative Industries » de la Middlesex University London
–Dossier « Rethink Music » du Berklee Institute of Creative Entrepreneurship
-Nombreux articles dont « How blockchain can change the music industry » sur Techcrunch
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